LE 103ème REGIMENT D'INFANTERIE DANS LA 2ème BATAILLE DE LA MARNE

Ce texte, écrit dans les années 1920, relate les aspects techniques des combats du 103ème RI, lors du tournant de l'offensive allemande commencée le 15 Juillet 1918

Merci à Bruno Hennequin qui nous a transmis les 4 cartes postales

I - SITUATION GÉNÉRALE SUR LE FRONT OUEST DE REIMS LE 16 JUILLET 1918

A la suite de leur attaque du 15 Juillet 1918, les Allemands ont passé la Marne entre Château-Thierry et Dormans; puis accentuant leur effort vers l'Est, ils ont pris pied dans le massif boisé de la montagne de Reims. Leur ligne la plus avancée est établie entre Sainte-Euphraise et Reuil. Par la suite, ils ont tenter de continuer leur progression dans la vallée de la Marne en direction d'Epernay, afin de faire tomber par cette manoeuvre tout le massif de la montagne où la lutte est des plus pénibles et où ils ne progressent que difficilement.

Situation

II - SITUATION DU 103ème RI AVANT L'ENGAGEMENT

Le 103ème régiment d'infanterie était depuis 15 jours au repos dans la région d'Epernay, où il s'était reconstitué après les durs combats qu'il venait de soutenir en Belgique au Kemmel. Au point de vue matériel et moral, le régiment était dans de parfaites conditions. Son nouveau chef avait pris énergiquement le régiment en mains. Les cadres avaient une entière confiance en lui; enfin, le moral des hommes était particulièrement élevé; le Chef de Corps avait su leur adresser de fortes et saines paroles et leur donner confiance et espoir.

C'est dans ces excellentes conditions que le 103ème RI est dirigé, le 16 Juillet, sur le pâtis de Damery. Le régiment se rassemble face à l'Ouest, dans le ravin du ru Ridel, en formation articulée. Il est mis à la disposition du Général, commandant la 10ème D.I. Coloniale.

III - SITUATION DE LA 10ème D.I. COLONIALE

La 10ème division d'Infanterie Coloniale était dans une situation assez difficile. Elle avait subi les assauts des Allemands le 15 Juillet et, écrasée par le nombre, elle reculait en combattant avec énergie. Bousculée dans la vallée au nord de la Marne, elle tenait encore le 16 Juillet, le village de Tincourt. Pressée par l'ennemi qui s'avançait avec de nombreuses mitrailleuses lourdes et légères, elle avait dû abandonner la presque totalité du bois du Roi. Vers midi, enfin, les survivants du 53ème RI Colonial sont rejetés de la lisière Est du bois du Roi, et les Allemands commencent à déboucher sur le pâtis de Damery.

IV - MISSIONS DU 103ème RI

Le 103ème RI va recevoir deux missions distinctes :

- 1° Un bataillon va contre-attaquer sur le plateau (pâtis de Damery), pour dégager les éléments du 53ème RI Coloniale et pour rejeter l'ennemi à l'intérieur du bois du Roi; il importe de l'empêcher de déboucher sur le plateau

- 2° Les deux autres bataillons du régiment vont aller s'établir sur les pentes Nord de la Marne. Ils occuperont la ligne la plus avancée tenue par les coloniaux. Les deux bataillons seront répartis comme suit :

Le 2ème bataillon, de la ferme Harnotay au village de Tincourt (inclus);

Le 3ème bataillon de Tincourt (exclus) à la Marne.

Les divers éléments qui luttent encore sur la ligne de bataille seront regroupés (Coloniaux, Cyclistes, Dragons) et constitueront l'ossature de la nouvelle ligne défensive.

 

CONTRE-ATTAQUE DU 1er BATAILLON SUR LE PLATEAU DU PATIS DE DAMERY

I - ORDRES PRÉPARATOIRES

Dès réception de l'ordre de contre-attaque, le Capitaine, commandant le 1er bataillon, oriente ses commandants de compagnie; il leur donne des points de direction sur le terrain. Le bataillon se portera à l'attaque avec deux compagnies en première ligne et une compagnie en soutien. La compagnie de mitrailleuses encadrera le bataillon avec une section à chaque aile en première ligne; deux sections marcheront avec la compagnie de réserve.

La liaison avec l'artillerie étant inexistante, il faudra se passer de son appui; aussi, dès qu'ils seront à bonne portée, les grenadiers V.-B. exécuteront un tir nourri sur les lisières des bois, afin de couvrir la progression du bataillon et de gêner le tir des mitrailleurs ennemis. Tous ces ordres sont naturellement donnés aussi simplement que possible, en raison de l'urgence de l'intervention du bataillon.

II - EXÉCUTION DE LA CONTRE-ATTAQUE

Contre_attaque du 1er Bataillon

La contre-attaque débouche du ravin du ru Ridel à 18 h. 45, et se porte en avant sous de violents feux de mitrailleuses qui causent des pertes sévères aux compagnies. Néanmoins, grâce à l'efficacité des tirs de V.-B. qui créent devant notre première vague un véritable barrage roulant, la lisière des bois est atteinte et largement dépassée. Le bataillon s'installe dans le bois du Roi, en liaison à droite avec le 52ème régiment d'Infanterie Coloniale, et à gauche avec le 53ème régiment d'Infanterie Coloniale, qui a pu progresser légèrement à l'ouest de la ferme Harnotay.

III - CONCLUSION

La contre-attaque avait donc parfaitement réussi. Cette opération avait cependant eu lieu dans des conditions difficiles. L'appui de l'artillerie faisait défaut; enfin, le terrain n'était pas connu des troupes chargées de la contre-attaque; de plus, ce terrain, glacis découvert., se prêtait très mal à une progression sous le feu.Il faut.chercher les causes du succès dans l'utilisation judicieuse et combinée des engins dont dispose l'infanterie (fusils-milrailleurs, grenades V.-B.). C'est parliculièrement l'usage des grenades V.-B. sur les lisières du bois du Roi qui rendit possible la progression sur le glacis. Les grenadiers V.-B. exécutèrent pendant la progression; un véritable barrage roulant.

Cette utilisation de la grenade V.-B. est donc à retenir; elle ne peut être réalisée qu'avec un personnel particulièrement bien entraîné. Les fusils-mitrailleurs firent également d'excellente besogne en neutralisant dans une certaine mesure les mitraillettes allemandes douées de moins de mobilité. Enfin, le moral de nos hommes, leur audace pendant cette attaque, furent au-dessus tout éloge. C'est leur ardeur, leur ténacité et leur esprit de sacrifice qui furent les facteurs principaux de notre succès.

 

PRISE DE CONTACT ET DÉPLOIEMENT DES 2ème ET 3ème BATAILLONS

Pendant que s'effectuait la contre-attaque que nous venons d'étudier, les 2ème et 3ème bataillons se portaient sur la ligne que l'on présumait occupée par les coloniaux. Le 2ème bataillon devait prendre le contact avec l'ennemi sur le front Harnotay - Tincourt. Le 3ème bataillon, en liaison à Tincourt avec le 2ème bataillon, devait barrer la partie sud de la vallée jusqu'à la Marne.

I - DÉPLOIEMENT DU 2ème BATAILLON

Le 2ème bataillon était orienté à l'Ouest d'Harnotay, en direction de Tincourt. Les 5 et 6ème compagnies, marchant en petites colonnes et couvertes par des patrouilles de combat, prirent le contact depuis la lisière des bois à l'Ouest de la ferme Harnotay, jusqu'à Tincourt. La 6ème compagnie se heurta, dans ce village, à des éléments ennemis qui y avaient pris pied. La 2ème compagnie de mitrailleuses tenait la droite du bataillon où elle assurait la soudure de notre front avec le 53ème régiment d'Infanterie Coloniale. La 7ème compagnie était tenue en réserve sur le chemnin Venteuil - ferme des Savarts.

II - DÉPLOIEMENT DU 3ème BATAILLON

Le 3ème bataillon, orienté au Sud de Venteuil, prit le contact aux lisières de ce village. Les 10ème et 11ème compagnies étaient en ligne, la 9ème compagnie en réserve. Le déploiement de ce bataillon fut très gêné par des feux de mitrailleuses provenant de la rive Sud de la Marne.

III - RÉDUCTION DU SAILLANT DE TINCOURT

Il existait entre la droite du 3ème bataillon à l'Ouest de Venteuil et la gauche du 2ème bataillon un trou assez important qui fut comblé presque aussitôt par le déploiement de la 7ème compagnie (réserve du 2ème bataillon) qui vint se mettre en ligne entre Tincourt et Venteuil, face au Sud-Ouest.L'ensemble de notre ligne formait donc un saillant très prononcé à Tincourt.

Le commandement fut mis au courant de cette situation. Le saillant de Tincourt était très exposé car, des lisières Sud du bois des Savarts, toutes proches, une attaque pouvait déboucher et nous chasser de Tincourt en portant le désordre:dans nos unités. Vers 22 heures, l'ordre parvint au 103ème R.I. de réduire le saillart de Tincourt : la nouvelle ligne devait passer à l'Ouest de Venteuil dont nous devions conserver les lisières.

La nouvelle position fut occupée dans la nuit du 16 au 17 Juillet. La 2ème compagnie de mitrailleuses occupait, au Nord de Venteuil, une position excellente qui lui permettait de battre à la fois les lisières Sud du bois des Savarts, ainsi que les lisières Ouest de Venteuil et les debouchés de Tincourt. Les liaisons sont établies pendant la nuit.

L'ennemi, heureusement, est moins entreprenant; il se concentre en vue des opérations du lendemain qui vont faire l'objet de la deuxième partie de cette étude. Le but que s'était proposé le Commandement était donc atteint. Il avait, dans cette zone de la ligne de bataille, établi de nouvelles troupes sur une position dèterminée. Nous verrons, par la suite, que cette position allait :

1° Résister aux attaques de l'ennemi, grâce à l'emploi judicieux des mitrailleuses du 2ème Bataillon.

2° Servir de base de départ à nos contre-attaques en direction de l'Ouest. Ces contre-attaques allaient amener l'abandon par les Allemands de la rive Sud de la Marne et ensuite de toute la poche qu'ils avaient créée dans nos lignes le 15 Juillet.

DÉFENSE DU VILLAGE DE VENTEUIL

Combats du 16 et 17 Juillet 1918

SITUATION DU 2ème BATAILLON LE 17 JUILLET, MATIN.

Après la réduction du saillant de Tincourt, dans la soirée du 16 juillet, la 6ème compagnie a pris position à 300 mètres environ à l'Ouest de Venteuil, à cheval sur le chemin qui va de ce village à Tincourt. Sa section de droite s'appuie à la lisière Sud du bois des Savarts; derrière elle, à 100 mètres, un chemin sinueux et très encaissé descend du bois vers la corne Nord-Ouest de Venteuil.

La 7ème compagnie tient les abords Sud-Ouest de Venteuil, en liaison à droite avec la 6ème compagnie, à gauche avec le 3ème bataillon, qui barre le fond de la vallée jusqu'à la Marne. La ligne de défense ainsi créée par la 6ème et 7ème compagnies, est étayée par deux sections de mitrailleuses du 68ème bataillon de Tirailleurs Sénégalais.

La 2ème compagnie de mitrailleuses, qui, la veille, avait établi ses sections en lisière du bois des Savarts, un peloton au Nord de Tincourt, l'autre au Nord de Venteuil, s'est rassemblée pendant la nuit sur l'emplacement de ce dernier, formant échelon à droite et légèrement en arrière de la 6ème compagnie. Les deux sections de gauche, postées sur un contrefort du plateau du bois du Roi, à pentes assez raides, surplombent la lisière Ouest de Venteuil. Elles peuvent agir non seulement en flanquement devant ce village, mais, en outre, battre à bonne portée les débouchés de Tincourt, les pentes Est et Sud-Est de la cote 164, la lisière du bois des Savarts et toute la vallee de la Marne depuis l'Ecluse jusqu'à la Cave.

Les deux sections de droite, placées sous bois même, en arrière d'une clairière, interdisent, à travrers un mince rideau d'arbres, toute la lisière du bois des Savarts. Enfin, toutes les pieces peuvent concentrer leurs feux en un point quelconque de la bande de bois située au Sud du chemin d'Harnotay à la ferme des Savarts.

La 5ème compagnie, ramenée dans la partie Est de Venteuil, constitue une réserve à la disposition du Chef de Bataillon (commandant le 2ème bataillon). Seule, une section est mise sous les ordres du commandant de la 2ème compagnie de mitrailleuses, pour couvrir cette compagnie au Nord-Ouest et assurer la liaison avec des éléments du 53ème régiment d'infanterie coloniale, sur le chemin d'Harnotay - ferme des Savarts.Enfin, une trentaine de Tirailleurs, d'une compagnie sénégalaise décimée la veille à la ferme de l'Echelle, barrent le chemin creux à gauche de la compagnie de mitrailleuses.

Le 16 juillet, en fin de journée, l'ennemi s'était infiltré presque jusqu'à la lisière Est du bois des Savarts. La liaison entre le 2/103ème et la garnison du plateau n'existait plus. Cette situation rendait excessivement difficile, pour les troupes de droite du bataillon, leur mouvement de repli vers les emplacements qui leur étaient assignés par suite de la réduction du saillant de Tincourt. Le peloton de mitrailleuses, posté au Nord de Tincourt, qui se heurta notamment à des éléments ennemis, dut combattre pour se dégager et ne put rejoindre sa nouvelle position que grâce au sang froid de son chef et à l'intelligence d'un guide éprouvé.

Opérée dans de telles conditions, par une obscurité des plus complètes, dans un pays seuleument entrevu de jour, l'occupation des positions n'alla pas sans provoquer quelque désordre dans les unités. La nuit du 16 au 17 juillet fut une nuit d'angoisse. L'ennemi, grisé par ses succés de la veille et de l'avant-veille, pousserait-il sans répit ? Laisserait-il au contraire aux unités le temps de se regrouper et de rétabllir les liaisons ?

Heureusement, soit qu'il ait été surpris, déconcerté par l'accueil qu'il avait trouvé le soir du 16 Juillet sur le plateau, soit qu'il se concentrât en vue de son attaque du lendemain, il ne bougea pas. L'aurore du 17 Juillet fut accueillie avec un véritable soulagement par les troupes françaises. On prévoyait pourtant que la journée serait dure. Mais chaque chef avait son unité bien en main, et la liaison avec le 53ème régiment d'Infanterie Coloniale avait enfin été rétablie peu avant le jour.Tout était prêt pour que l'ennemi fût reçu comme il convenait.

L'ATTAQUE ALLEMANDE DU 17 JUILLET 1918

Dés 5 heures, de petites colonnes allemandes se montrent à l'Ouest de Tincourt, de part et d'autre de Villers-sous-Châtillon, descend de la cote 164. Les plus nombreuses se dirigent sur Tincourt, d'autres, au contraire, munies de mitrailleuses qu'on reconnaît parfaitement à la jumelle, remontent vers la lisière du bois des Savarts.

Un quart d'heure plus tard, les mitrailleuses ennemis, et deux canons d'accompagnement, ouvraient de la lisiere du bois des Savarts, un feu des plus meurtriers sur les troupes françaises disséminées dans les vignes entre Venteuil et Tincourt. A la faveur de ce tir, l'ennemi débouchait. de Tincourt et commençait à s'infiltrer dans la direction de Venteuil à travers vignes et vergers.

Il semble que rien ne doive l'arrêter : rien ne bouge du côté français, et l'on pourrait croire Venteuil vide de défenseurs, si l'on n'entendait par instant l'appel d'un blessé ou le crépitement d'une mitrailleuse qui prend à partie un groupe d'ennemis assez fort qui tente, en vain, de sortir de Tincourt, par la route.

Cependant, l'un après l'autre, les Allemands arrivent à une centaine de mètres des prerniers éléments français. Là, ils se tapissent derrière haies et talus, dans des fossés, et semblent attendre, pour bondir, que leurs mitrailleuses cessent ou allongent le tir. Ce temps d'arrêt leur est fatal. La 2ème compagnie de mitrailleuses du 103ème R.I. commence, avec quatre pièces un tir d'écharpe qui, plongeant derrière les talus oblige l'ennemi à chercher d'autres abris. Mais au même instant, comme à un signal, les mitrailleuses des Sénégalais et les fusils-mitrailleurs des 6ème et 7ème compagnies du 103ème R.I. portent son:désarroi à son comble par feu des plus nourris. En désordre, et au pas de course, les capotes grises disparaissent dans 1a direction de Tincourt

Dans le bois des Savarts, l'ennemi avance plus lentement. C'est à 6 h. 30 seulement que ses patrouilles arrivent au contact de la section de protection (5ème compagnie), qui couvre la 2ème compagnie de mitrailleuses. Dispersé par quelques coups de feu, l'ennemi disparaît pour revenir presque aussitôt, mais en nombre.Cette fois, il attaque résolument. La section de protection se défend énergiquement, mais, écrasée par le nombre, elle se replie bientôt sur la ligne tenue par les mitrailleurs. Ceux-ci ouvrent alors le feu de toutes leurs pièces. Les fantassins allemands, interdits par un tir aussi violent qu'inattendu, s'arrêtent d'abord et cherchent à se terrer. Mais les huit mitrailleuses fouillent impitoyablement tous les taillis et tous les buissons. Terrifié, l'ennemi fait demi-tour et s'enfuit, poursuivie par la section de protection qui reprend ses emplacements.

La violence avec laquelle le combat avait été engagé laissait prévoir que l'ennemi ne resterait pas sur son échec et ne tarderait pas à revenir à la charge avec plus de forces. Cette fois, la section de protection, bien affaiblie, ne serait-elle pas bousculée dès le premier instant, et l'ennemi n'atteindrait-il pas, en poussant énergiquement, la position tenue par la compagnie de mitrailleuses avant que les pièces aient pu tirer efficacement ?En prévision d'une telle éventualité, le commandant de la compagnie de mitrailleuses demande au Chef de Bataillon :

1° Des cartouches pour compléter son approvisionnement fort entamé;

2° Si possible, une section d'Infanterie, qui renforcerait la protection des mitrailleuses et assurerait, à cheval sur le chemin creux, la liaison avec la droite de la 6ème compagnie.

Vers 8 h. 30, une section de la 5ème compagnie arrive. Chaque homme apporte aux mitrailleurs quatre bandes de cartouches. Le Capitaine qui commande cette section se porte en avant, entraîne au passage la section de protection et s'établit à 150mètres environ en avant de la compagnie de mitrailleuses.

Il était temps. A 9 heures, les Allemands reviennent résolument à l'attaque. Tandis que les uns abordent de front le peloton de la 5ème compagnie, d'autres tentent de descendre vers Venteuil en utilisant le cheminement naturel offert par le chemin creux. La lutte est opiniâtre; les pertes sont sévères. Le Capitaine commandant le peloton prévoit qu'il ne pourra résister longtemps contre des ennemis supérieurs en nombre. Il fait alors exécuter à son peloton une manoeuvre prévue.

Avec sa section de gauche, il se rabat complétement sur le chemin creux et, par des feux combinés de fusils-mitrailleurs et de V.B., massacre les Allemands qui ont eu l'imprudence de s'y engager. La section de droite se colle, au contraire, au chemin d'Harnotay à la ferme des Savarts.

L'ennemi fonce alors dans le trou ainsi créé; mais les huit mitrailleuses, qui ont maintenant le champ libre, ouvrent un feu des plus violents. une fois de plus, l'ennemi est obligé de s'arrêter, puis de s'enfuir en désordre.Le peloton de la 5ème compagnie, réduit de moitié, reprend sa place. Un Sous-Lieutenant, détaché comme officier de liaison par le 1er bataillon, en prend le commandement, que le Capitaine, grièvement blessé, a dû abandonner.

Le calme est revenu; il semble que l'ennemi ait abandonné toute idée offensive. Heureusement d'ailleurs, car la situation est peu brillante : les munitions sont presque épuisées, les pertes sont très élevées et, de plus, la liaison avec le 53ème régiment d'infanterie coloniale est rompue. ans retard, on se réapprovisionne en cartouches et une mitrailleuse est mise en observation sur la droite pour éviter toute surprise de ce côté.

Jusqu'alors, l'ennemi n'avait pas jugé bon de renouveler la tentativequ'il avait faite au point du jour sur Venteuil. La vallée de la Marne n'était plus sillonnée que par de rares capotes grises. Tout à coup, vers 10 h. 30, une animation anormale semble régner dans les champs d'avoine qui bordent le chemin allant de Venteuil à la ferme Echelle.

Un par un, des Allemands se faufilent jusqu'à des vergers où ils semblent se masser, comme pour une nouvelle attaque. Quelques bandes de cartouches sont tirées et apportent un peu de trouble dans ces mouvements qui, pour le moment, ne paraissent pas d'ailleurs autrement inquiétants.

Leur but n'est plus douteux, lorsque, vers 11 h 30, un bombardement effroyable commence. Obus de tous calibres, fusants, explosifs, incendiaires, asphyxiants, s'abattent sur Venteuil et sur les lisière Sud du bois des .Savarts. L'ennemi emploie les grands moyens. Voulant avancer à tout prix, malgrè la série d'échecs qu il a subis toute la matinée, il se décide à écraser par son artillerie ceux que son infanterie n'a pu vaincre à elle seule.

Pendant deux heures, l'Infanterie française supporte bravement ce formidable bombardement. A 13 h 30, l'Artillerie allemande allonge son tir et les vagues d'assaut s'élancent aussi bien dans la vallée que sur le plateau. Sous la violence de l'attaque, les 6ème et 7ème compagnies sont obligées de reculer jusqu'aux premières maisons de Venteuil, laissant ainsi dangereusement exposée la gauche de la 2ème compagnie de mitrailleuses. Les éléments de la 5ème compagnie qui protègent directement cette dernière, pressés à la fois de front et sur les deux flancs, se replient sur les mitrailleuses.

Par bonheur, toutes les pièces ont échappé, par miracle, au bombardement. Toutes à la fois, elles crachent la mitraille. L'ennemi cependant continue à avancer; il n'est bientôt plus qu'à 50 mètres; tout ceux qui ne sont pas au pièces mettent baïonnette au canon, prêt à défendre le terrain jusqu'au dernier. Mais, l'abordage n'aura pas lieu; décidément l'Infanterie allemande ne veut ou ne peut pas traverser la nappe de balles qui couvre le terrain; elle s'arrête et se terre aussitôt.

Il ne reste plus qu'un millier de cartouches pour toute la compagnie de mitrailleuses. Il s'agit de ne pas les gâcher. On ne peut, comme les autres fois, espérer mettre l'ennemi en fuite; du peloton de la 5ème compagnie il ne reste plus, en effet, qu'un adjudant, un sergent et une dizaine de soldats. Installés à 50 mètres, les Allemands constituent cependant un danger menaçant. En outre, on craint à chaque instant d'en voir surgir sur la gauche. A droite, la situation est encore moins rassurante: depuis quelques minutes, on recoit des balles de revers. D'ailleurs le commandant de la 2ème compagnie de mitrailleuses ne tarde à apprendre que les ennemis ont atteint les abords de la ferme Harnotay, dont les défenseurs sont sur le point de lâcher pied.

Cette ferme constitue un point d'appui important, et sa perte entraînerait sans aucun doute la chute de tout le plateau du bois du Roi. Dans ces conditions, le Capitaine juge inutile de prolonger au Nord-Ouest de Venteuil une résistance qui ne saurait durer longtemps, en raison de la pénurie de munitions, et dont le succès même risque fort d'être illusoire.

Il prescrit, pour sa compagnie, un repli par échelon : une section se portera le plus rapidement possible au bord du plateau, vers Harnotay, et appuiera la défense de cette ferme; deux autres prendront position sur le chemin de Venteuil à Harnotay. La dernière section masqera le mouvement en brûlant les dernières cartouches, sur l'ennemi qui est en face, puis se repliera elle-même sous la protection des sections déjà installées en arrière.

Ce repli s' effectue tel qu'il avait été prévu. La section parvient à contenir l'ennemi en avant d'Harnotay. Quant aux Allemands qui étaient aux prises avec le reste de la compagnie de mitrailleuses, ils mettent près de deux heures à s'apercevoir que la place était libre. Lorsqu'ils se décident à avancer, il est trop tard. Ils se heurtent à un bataillon du 102ème R.I. venu à la rescousse et qui après avoir dégagé la ferme Harnotay, oblige l'ennemi à regagner le bois des Savarts.

Le lendemain, 18 juillet, d'assaillis les Français devenaient assaillants et enlevaient aux Allemands presque tout le terrain qu'ils avaient conquis péniblement les 16 et 17 juillet.

 

CONCLUSIONS

Les identitifications faites par la suite ont permis de reconnaître que sur le seul front tenu par le 103ème R.I. et les débris du 53ème R.I. Coloniale, l'attaque avait été menée, le 17 Juillet 1918, par les 2ème et 4ème régiments de Grenadiers de la Garde et la 195ème D.I. (division de Chasseurs).

On peut donc affirmer, sans crainte d'exagération, que les troupes françaises avaient tenu victorieusement tête à des adversaires qui leur étaient plus de deux fois supérieurs en nombre, compte tenu des pertes subies, de part et d'autre, les jours précédents. Ce succès est dû pour la plus grande partie à la 2ème compagnie de mitrailleuses du 103ème régiment d'infanterie.

Rassemblée sur une position dominante tout entière dans la main de son chef, elle avait été engagée exceptionnellement, contrairement aux règles habituelles qui prescrivaient de répartir les sections de mitrailleuses en largeur et en profondeur sur tout le front du bataillon.

A cause même de cette situation exceptionnelle, elle a pu réussir où auraient certainement échoué des sections disséminées. A chaque assaut, elle a pu intervenir rapidement, par une concentration de feux puissante, au point le plus sensible. Chaque fois elle a brisé l'élan de l'ennemi.

Se trouvant placée elle-même en un point particulièrement sensible, elle a pu, grâce .à la puissance de feux que lui permettait sa formation, s'y maintenir jusqu'au moment où les munitions lui firent défaut; mais assez longtemps, en tout cas, pour permettre aux renforts d'arriver.

LA CONTRE-ATTAQUE, LA POURSUITE

Ce récit serait incomplet si il n'indiquait sommairement les opérations qui suivirent le combat du 17 Juillet. La ligne allemande était étayée par deux points d'appui solides : sur le plateau, la ferme des Savarts; dans la vallée de la Marne, la ferme Echelle. Dès le 18 Juillet, le 103ème R.I. contre-attaque énergiquement avec pour principal objectif la ferme Echelle. Au nord, le 102ème R.I., qui est venu renforcer notre ligne avec deux bataillons sur le pâtis de Damery, attaque la fermes des Savarts.

Notre contre-attaque reprend d'un seul élan à l'ennemi tout le terrain qu'il nous a arraché la veille; mais la ferme Echelle est restée aux mains des Allemands. Le 3ème bataillon du 103ème R.I. qui attaque la ferme, a des pertes cruelles. Son chef, le Commandant Tabusse, est tué en poussant ses compagnies à l'attaque. Très éprouvé, le 3ème bataillon doit être relevé dans la nuit du 18 au 19 Juillet par le 1er bataillon qui ayant terminé sa mission dand le bois du Roi, avait été remis à la disposition du colonel commandant le 103ème R.I..

Le lendemain, 19 Juillet, le 1er bataillon n'est pas plus heureux devant la ferme de l'Echelle. Avec une ténacité admirable, il recommence son attaque le 20 Juillet et parvient enfin à prendre la ferme que les Allemands avaient transformée en une véritable forteresse.

A partir de ce moment, notre progression va être ininterrompue dans la vallée. Nos fantassins s'infiltrent entre les centres de résistance ennemis, les tournent, les capturent puis repartent en avant. Bientôt le village de Rueil est atteint. Seule, sur le plateau, la ferme des Savarts a résisté à nos attaques. Les chars de combat eux-mêmes ont été impuissants contre ce point d'appui où les Allemands se cramponnent. Ce n'est que grâce à la menace de débordement par le Sud que prononce le 103ème R.I., que la ferme des Savarts est prise le 25 Juillet

Cette fois, la retraite allemande se précipite et, jusqu'au 28 Juillet, sur plus de douze kilomètres, la poursuite va se continuer, ardente, tenace, opiniâtre. Le 29 Juillet, l'ennemi tente encore de nous arrêter sur la position Romigny-Baleuvre. Malgrè les pertes et la fatigue de deux semaines de combats acharnés, le 103ème attaque encore une fois et, dans un assaut splendide, arrache à l'ennemi cet important point d'appui.

Relevé enfin, le régiment va se reconstituer à l'arrière en vue de nouveaux et glorieux combats.

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