LE 233ème R.I. ATTAQUE EN DIRECTION DU PLESSIER-HULEU

LE 233ème R.I. ATTAQUE EN DIRECTION DU PLESSIER-HULEU

La 1ère Division comprend le 1er, 201ème et 233ème RI. Dès le 28 mai 1918, elle est engagée jusqu'au 5 juin dans les combats d'arrêt du nord-est de la forêt de Villers-Cotterêts, du 11 juin au 13 juillet elle combat dans la région de Chavigny en se rapprochant de Longpont.

Enfin du 18 au 28 juillet, dans le cadre du 30ème Corps d'Armée de la Xème Armée elle combat en direction du Plessier-Huleu et du Grand-Rozoy. Le texte qui suit raconte les pérégrinations d'un groupe d'appui feux, lors de ces combats.

233ème régiment d'infanterie, 1ère Division

Colonel Gény

4ème Bataillon: Capitaine Pons

5ème Bataillon: Capitaine Delattre

6ème Bataillon: Capitaine De Tourdonais

canons de 37

1ère pièce :

canon de 37: Chicoisne

2ème pièce

canon de 37: St Neveu

3ème pièce mortiers stokes, 2 engins

1er engin

Caporal Monnard ( Houilles )

1er tireur : Servos( Feurs )

2ème tireur : Mayeur ( Nord )

Pourvoyeur : Gasnier ( Sarthe )

2ème engin

Caporal Dumoulin ( Lille )

1ème tireur : Carlier ( Nord )

2ème tireur : Le Troadec ( Breton )

Pourvoyeur : Le Guyader ( Breton )

Agent de liaison : Blézel ( St Omer )

Le 37 commandé par l'adjudant ( Bordeaux )

Les stokes commandés par le sergent Wafflard ( Nord )

Le Lieutenant commandant les deux groupe, porte-drapeau du régiment est Lillois,

AVERTISSEMENT

les expressions du texte manuscrit ont été respectées

EXTRAIT DE " SOUS LE CASQUE " RÉCITS DE GUERRE PARU SOUS LA FORME DE FEUILLETON DANS LE JOURNAL "LE MUTILÉ DU CENTRE " SOUS LA SIGNATURE DE FRANCISQUE SERVOS , TRÉSORIER DE " L'UNION DES MUTILÉS " DE CHAZELLES SUR LYON

LA DERNIÉRE ATTAQUE

Juillet 12 au 16

Les mortiers STOKES et tout le 4ème bataillon du 233ème RI est au repos à PRESLES pas loin de PARIS et le 16 au soir branle bas de combat.

Le bataillon embarque. Les poilus s'engueulent puis se battent, Les moins saouls font taire les autres en leur aidant à se hisser dans le fourgon funéraire. Cela ne va pas sans cris et grincement de dents. Pour une fois les élèves macchabée ne veulent pas se rendre au grand cimetière.

Le Général de division passe en ce moment à nos côtés et l'entendons dire au Capitaine Delatre: " Mais voyons Capitaine que voulez que je fasse de ces ivrognes? ".

Le Capitaine sourit en haussant les épaules, il sait bien que lorsqu'il aura besoin de ses poilus ils seront dessoûlés.

Nous embarquons enfin dans notre camion et à huit heures, celui-ci démarre à la suite des autres au grand dommage de mon estomac.

Mayeur est rudement touché et le voilà qui dégueule avec des hoquets terribles.

Le lendemain nous débarquons avec une soif terrible à quelques kilomètres de VILLERS-COTTERÊTS.

Le soir nous montons en ligne. Nous arrivons à minuit et demi dans un bois où nous campons. Comme j'ai pu avoir mon fourbi au train de combat, je monte une guitoune avec Mayeur et bientôt nous nous endormons bien tranquilles car pas un obus ni un coup de fusil ne trouble le silence.

18 Juillet

Braoum ! Braoum ! Braoum ! Braoum ! Un bombardement effroyable nous fait sortir en vitesse de notre guitoune à la recherche d'un coin pour se garer et planquer notre pauvre carcasse. "Il ne faut pas vous en faire les gars " nous crie un artilleur " c'est nous qui tirons et je vous assure que les Fritz prennent quelque choses "

Cela nous soulage et nous regardons un moment les artilleurs dont les batteries nous entourent et qui se démènent comme des démons.

Le Lieutenant arrive, nous rassemble et le barda sur le cul nous prenons la direction de l'avant. Nous arrivons vers les huit heures à l'orée de la forêt. Les Fritz déclenchent à ce moment leur barrage et à l'endroit où nous sommes. I1 n'y a pas un coin pour se planquer, un trou se présente à notre gauche , j'y saute dedans et je n'ai pas touché le fond que Mayeur me saute dessus suivi de Le Troadec.

J'étouffe sous les deux corps, mais je ne peux pas bouger et eux ne veulent pas sortir. Le bombardement dure une demi-heure; pas un de nous n'est touché, c'est à peine croyable car les obus éclatant dans les arbres font shrapnell et nous couvrent de mitraille. A dix heures, nous recevons l'ordre de nous porter en avant.

Nous voilà donc partis nos STOKES sur le dos. Nous suivons sous bois à la boussole un sentier qui nous mène à LONGPONT où nous arrivons vers midi. Un grand marécage plein de macchabées étalant leur pestilence sur la droite de ce village la plus grande partie des morts sont des capotes grises mais de nombreuses tâches jaunes et quelques bleu horizon nous apprennent que là a eu lieu le premier choc.

Nous traversons le marécage par une piste en fascines que vient de poser le génie. Une odeur presque insupportable règne dans ce lieu et nous faisons vite à traverser le marais.

Quelques blessés nous croisent et nous apprenons que c'est la division marocaine qui a attaqué en première vague. Nous traversons la voie ferrée sous les coups de fusils des Fritz qui tirent de CORCY qu'ils tiennent encore et où se trouve le 201ème et le 1er d'infanterie.

La route remonte à gauche et nous apercevons le tunnel du chemin de fer en partie éboulé. Un agent de liaison fait signe au Lieutenant de s'approcher et au pas de gymnastique nous gravissons la petite côte qui suit la voie ferrée. La 15ème compagnie réclame le canon de 37 et la 2ème pièce se prépare à aller au secours des copains qui sont arrêtés par un blockhaus en face de BLANZY.

Quand à nous, nous nous mettons en position d'attente en avant d'un petit bois, dans un champ de luzerne. La pièce de Chicoisme tire en ce moment sur une grosse ferme fortifiée qui enraye l'avance de la 15ème compagnie.

Toute la journée, nous restons sur notre position. Les boches résistent dans le village de BLANZY et l'adjudant nous apprend qu'il n'y aura pas d'autre attaque aujourd'hui.

"Installez vous dans ce petit ravin", nous dit il en nous montrant une dépression du terrain dans lequel se voit quelques petits abris, "vous y attendrez mes ordres ".

Nous nous installons donc dans le petit ravin et Gasnier et Laquais prennent la première garde pendant que les autres poilus nettoient un peu les abris pour passer la nuit. I1 est cinq heures du soir et Monnard qui rentre nous apprend que les tanks sont campés à deux cent mètres de nous. "Vient les voir avec moi " me dit il.

Je dis à Carlier de s'occuper de l'abri et avec Mayeur, je suis Monnard à la visite des tanks. Ils ne sont pas loin puisqu'à trois cent mètres de nos gourbis nous tombons sur leur campement tout à côté d'une ferme qui est encore en assez bon état. Les poilus des tanks sont entrain de nettoyer leurs engins pendant que d'autres écoutent le rapport d'un officier. Une équipe se prépare pour aller dépanner deux des leurs qui sont restés en carafe dans le ravin.

L'officier nous interpelle et nous nous présentons à lui en saluant. "Oh! Vous êtes de 233ème, c'est vous qui avez attaqués ce matin, vous avez pas mal travaillés, mais demain ça ira mieux, nous serons tous avec vous, faites votre devoir les petits gars, nous, nous ferons le nôtre, et les Bavarois n'auront qu'à fuir"

Le Lieutenant appelle un homme et lui dit de nous faire voir les engins. " Vous avez de bons officiers ", dis je aux mécaniciens qui nous accompagne " Oh oui, celui là il est bath et à chaque coup il est amoché, il a déjà six citations, il préfère faire lui-même un mauvais boulot que de faire esquinter une équipe".

Contre le mur de la maison un cuistot prépare le rata. I1 nous offre un quart de pinard. Je préférerais la moitié d'une boule, mais le quart est offert de si bon coeur.

Le mécanicien est obligé de nous quitter, "Allez; voir les gars qui sont derrière la maison", nous dit il en nous quittant. Derrière la maison, nous les apercevons les "gros pépères" bien cachés sous leur camouflage qui enserrent les pommiers comme d'immenses toiles d'araignées bariolées.

"Ah ! Mince ! Ch'ai des maouss" dit Mayeur émerveillé. Un des mécaniciens nous fait entrer dans l'un d'eux et nous explique l'installation intérieure. Un 75 reluit comme un soleil encerclé par sa garde dont pas un point de rouille ne ternit l'éclat, il semble le père de deux 37 propres comme deux sous neufs. De chaque côté du tank, les munitions sont entassées bien alignées dans des caisses,

Deux mitrailleuses démontées nous expliquent le travail du mécano à notre arrivée. Nous sommes vraiment frappés de la propreté du Schneider et pourtant, il "'Y a pas une heure qu'ils sont là.

" Que de vies de poilus sauvées avec nos tanks" nous dit le mécano, "mais les gros ce n'est pas bien le filon; on n'est trop vite repéré et comme on ne se déplace que lentement, on n'est d'abord descendu, tandis qu'avec les petits, on reste moins en place et les boches n'ont pas si beau jeu".

Nous regardons encore les petits Renault qui viennent de rentrer puis nous regagnons le gourbi. En route, Monnard pousse de gros soupirs, c'est son rêve maintenant les tanks.

Barbier nous indique notre gourbi qu'il a nettoyé pendant notre absence, on n'est pas mal et pour un jour d'attaque on ne peut souhaiter mieux. Je prend la garde à une heure du matin avec Carlier. Le temps est très clair, de gros avions sillonnent le ciel.

"Ce doit être des Français", me dit Carlier qui a l'oreille accoutumée aux moteurs. I1 allume tranquillement sa pipe. Les avions sont maintenant au-dessus de nous et nous nous apercevons que ce ne sont pas des Français comme le prétendait Carlier.

Une dizaine de bombes viennent choir dans les environs de nos gourbis. Les copains sortent des gourbis et demandent ce qu'il y a. " Ch'ai Guillaume qui veut éteindre ma pipe ", dit Carlier, " l'lueur les a éborllié", "Tu peux pas planquer ta pipe", lui dit Monnard vexé d'être réveillé pour rien.

Les avions sont maintenant sur LONGPONT et ils lâchent au moins deux cent bombes de petits calibres, puis tout se tait. Quelques grenades éclatent dans la direction de BLANZY; puis trois heures arrivent nous relevant de notre garde. Notre nuit s'achève tranquillement, B1ézel vient à quatre heures et demi nous dire de nous porter en avant. Nous bouclons nos musettes et le ventre vide nous prenons la direction des Fritz.

Chicoisne est déjà parti avec sa pièce. Nous prenons position où nous étions hier soir. Nous entendons la pièce de Chicoisne qui tire en avant. "Tiens, le 4ème bataillon qui monte" dit B1ézel en reconnaissant le Capitaine Pons qui passe en ce moment sur notre gauche à la tête de la 14ème compagnie.

Arrivée à notre hauteur, la compagnie se sectionne et par colonne d'escouade s'approche de BLANZY. Nous les voyons se défiler dans les taillis assez nombreux à cet endroit. Nous apercevons toute une colonne qui est couchée dans le champ de luzerne. Wafflard avec sa lunette a reconnu la 15ème. Derrière nous arrive la 13ème.

Une autre compagnie suit la 15ème mais plus près de nous, leur chef nous apercevant envoie un agent de liaison qui remet une note au Lieutenant. L'agent de liaison nous apprend que c'est la 19ème qui vient renforcer le 4ème bataillon qui doit attaquer à six heures pour prendre le village de BLANZY.

A la suite du billet du Commandant de la 19ème, notre Lieutenant; envoi la 2ème pièce avec Chicoisne qui est revenu pour démolir un groupe de mitrailleuses qui font "leur mariolle" devant les premiers éléments de cette compagnie. Le Lieutenant est demandé au Colon et il part avec B1ézel en emmenant sa pièce.

Chicoisne revient au bout d'un moment sans avoir tiré, mais à peine Bourdeux a-t-il posé son trépied que la 14ème réclame le 37 et les voilà repartis.

"Regarde les donc ! avec leur tuyaux de poêle, ils n'en foutent plus une rame maintenant", dit Marcel Neveu de la 2ème pièce en se moquant de nous. Le fait est qu'en rase campagne le mortier Stokes ne doit pas servir souvent. Nous ne nous en plaignons pas et assistons en spectateurs très intéressés à l'attaque qui se prépare.

Nous restons donc à nous tourner les pouces pendant que les copains des 1ère et 2ème pièces font tout le boulot. Nous entendons bientôt claquer la pièce de l'adjudant, à nos oreilles exercées. Elle a un claquement qui diffère un peu de celle de Chicoisne.

Celle-ci ne tarde pas à faire écho à l'autre, car dans la direction de son tir nous ne tardons pas à voir éclater des fusants. Ils n'ont pas mis longtemps à être repérés. Mais des cris se font entendre derrière nous, et, au galop une batterie de 75 vient se mettre en position à quelques pas de nous.

" Foutez moi le camp! " nous crie un Lieutenant du 15ème d'artillerie, "il nous faut de la place", "Y en a ben de la place, en avant" lui crie Mayeur peu content d'être obligé de déménager et ne peut renifler les artilleurs du 15ème trop court.

"Allez, allez, de la place".

"In y va vingt dieu, in y va vingt dieu et t'sais, D'siré tire bon sur ch'cordon et attention à ché copains ".

Un claquement sec répond : le 75 tire déjà.

Nous nous portons en avant et du point où nous sommes, nous voyons tout le secteur d'attaque du 4ème bataillon. Les maisons du village nous apparaissent environnées de la fumée des éclatements.

"Tiens des fusants!", dit Delplanque en montrant huit fusants qui viennent d'éclater à deux mètres au dessus de nos têtes.

" C'est le signal de l'attaque", nous dit B1ézel qui nous a rejoint.

Un ronflement s'approche de nous et regardant en l'air, nous voyons de gros avions de bombardement qui arrivent de la direction de VILLERS-COTTERETS suivi de quatre petits chasseurs qui tourbillonnent autour d'eux, Monnard est aux anges.

Au moment où ils arrivent au dessus de nos têtes, les tanks débouchent de la route d'OULCHY-LE-CHATEAU et prenant leur distance foncent sur le village de BLANZY. Les Fritz sont maintenant complètement déchaînés et les mitrailleuses tirent à toute volée, et les 77, 88, 105 et 150 font voler la terre; les hommes ragent de voir leurs éclatements.

"Regarde les tanks ", me crie Monnard, qui prit de frénésie fait de grands gestes. Les tanks attaquent maintenant les premières maisons du village, Ils sont en ligne et nous entendons leur 37 qui tirent à mitraille sur les Fritz. Les poilus des compagnies se groupent derrière eux et d'où nous sommes , nous suivons parfaitement la progression, L'artillerie allemande tire en plein sur le village sacrifiant ses soldats pour enrayer l'attaque, mais il est trop tard.

Maintenant les quatre compagnies d'attaque ont encerclées le village et nous voyons les Fritz se sauver poursuivis par les poilus à la baïonnette et à la grenade.

Seule la ferme fortifiée tient le coup et par les créneaux sort un déluge de balles qui s'abat autour de nous, Monnard en profite pour en accaparer une, qui lui fait une belle entaille dans la cuisse. Je le panse, mais il ne veut pas s'en aller.

"Quand l'attaque sera finie" me dit il.

Deux tanks ont vu la résistance qu'opposent les Fritz dans la ferme, Ils font demi-tour et avancent doucement dans la direction du centre de résistance. Ce sont deux gros Schneider. Les obus boches se concentrent sur eux et nous voyons l'un d'eux s'arrêter. L'autre est arrivé à la ferme, et d'un coup, de boutoir il bouscule tout; nous apercevons alors le mur de la ferme s'abattre sur lui. Nous entendons encore son 37 qui tire, mais du coup les mitrailleuses allemandes se sont tues. Le crépitement des grenades couvrent le bruit de nos mitrailleuses et nous voyons le 4ème Bataillon progresser au dessus de la ferme qui est maintenant complètement a nous et ne gène plus la progression.

Au bout d'une demi-heure, le calme renaît et B1ézel qui avait été demander des ordres au Lieutenant revient nous dire de nous porter en avant de BLANZY. Nous partons donc rejoindre les deux pièces de 37 que nous trouvons aux abords de le ferme écroulée.

Des décombres s'élèvent un concert de hurlements "I1 doit y avoir quelque chose comme boches là dessous", dit Gasnier.

Dans la cour de la ferme, le major a déjà installé son poste de secours. Les clients ne manquent pas. La plupart ne s'arrêtent pas et filent directement sur LONGPONT où l'ambulance se trouve être dans les dépendances d'un espèce de château qui ressemble à une église. Monnard profite de notre passage pour faire refaire son pansement et se faire faire une piqûres antitétanique.

Nous appuyons un peu sur notre gauche pour nous planquer dans les bois de BLANZY. Nous y trouvons les tirailleurs du 4ème Mixte que nous relevons et qui prennent la direction de l'arrière. Ils ont perdus la moitié de leur effectif, mais ne font pas mauvaise figure. Un des sergents qui boit un coup à mon bidon me dit qu'il ne voudrait pas être relevé "maintenant qu'y a un bon coup" et qu'il n'y a qu'à courir au cul des boches. Pourtant le sol autour de nous est parsemé d'un bon nombre de capotes kaki et cela devrait leur donner à réfléchir sur les dangers de rester ici. Ils ont attaqués sur notre gauche et ont pris les Fritz à revers, faisant leur jonction avec le 4ème Bataillon dans le bois où nous sommes. Leur travail est terminé. Ils vont partir se reposer quelques jours à l'arrière avant de revenir donner un coup de collier.

Les Fritz occupent maintenant les hauteurs de SAINT-REMY-BLANZY et de leurs positions nous envoient quelques paquets de 105. Nous profitons d'un champ de topinambours pour nous défiler jusqu'à l'endroit où nous devons prendre position.

Arrivés dans un petit bois nous retrouvons le Lieutenant et Marcel Neveu qui a reçu une balle à l'épaule, Le Lieutenant porte une blessure à la joue et il nous apprend que Bourgues le bordelais est également blessé au bras.

Le 4ème Bataillon est en réserve dans le bois remplacé en avant par le 6ème. Le 5ème progresse sur notre droite. Au loin, à notre gauche la canonnade fait rage et la ciel est littéralement saturé de fusées blanches rouges et vertes demandant les unes l'artillerie les autres signalant les gaz.

Mais les Fritz ont vu le mouvement des troupes dans le bois et une pluie de fer s'y abat. Pas un abris pour se planquer, car les obus qui éclatent dans les arbres sont très dangereux.

Je dégotte enfin un trou où Mayeur se fait tout petit sous la plaque de base de son Stoke, je me faufile près de lui et pendant une heure nous serrons les fesses. Heureusement les Fritz ne tirent qu'avec des 77 et des 105 et un grand nombre n'éclatent pas. Le sifflet du Lieutenant de fait entendre, nous partons en avant.

"Le Lieutenant Brouillard est tué", nous dit l'adjudant qui est blessé à la figure, "tenez, regardez on l'emporte". En effet deux musicos emportent un poilu dans une toile de tente, un bras dépasse et je reconnais les deux tout petits galons du Lieutenant porte-drapeau Brouillard.

Le bombardement du bois s'est un peu calmé et de partout on entend les cris des blessés réclamant du secours. Nous partons dans la direction de SAINT REMY BLANZY, d'où le 5ème Bataillon déloge en ce moment les Fritz, nous entendons leurs clameurs qui sont plus fortes que le crépitement des mitrailleuses et des citrons-foug. Les deux pièces de 37 partent bientôt en avant pendant que nous , nous partons au P.C. du Commandant du 5ème Bataillon.

Nous trouvons à proximité un petit abri sous un rocher, mais nous sommes obligés d'en déloger les locataires indésirables : deux Fritz tout noirs et ballonnés par les gaz. Ca sent un peu, mais on est à l'abri et pour l'instant c'est le principal.

L'artillerie allemande balaye les alentours du P.C. et nous sommes tranquilles, mais la tranquillité de notre estomac se réveille et des tiraillements nous rappellent que nous n'avons pas mangé depuis le 17 et nous sommes le 19.

Mayeur consulté m'apprend qu'il est quatre heures. Dans ma musette, je trouve quelques miettes de biscuit et de chocolat mélangés de tabac. Ce n'est guère engageant comme menu. Nos vivres de réserve sont restés dans nos sacs au train de combat.

Carlier qui rentre de liaison au 5ème Bataillon nous apprend que les cuisines ne viendront que lorsque nous aurons pris LE PLESSIER-HULEU, car des hauteurs de ce village les Fritz distinguent nos mouvements et empêche le ravitaillement d'approche.

" Ce doit être des combines de fourrier" dit Monnard " tu penses deux jours et peut-être plus sans ravito, c'est ça qui en fait du bon.

Autour de nous, il n'y a pas mal de macchabées et je pense bien trouver de quoi calmer ma fringale en allant fouiller les musettes et les sacs. Je pars donc muni seulement de mon masque et d'une musette. Ca a bardé dans ce coin et les Fritz ont du prendre quelque chose car les capotes grises sont bien plus nombreuses que les capotes horizon. Mais je tombais mal et j'ai beau fouiller une vingtaine de musettes et de sacs, je n'arrive à dégotter qu'un affreux pain boche qui pèse au moins un kilo tout en étant pas plus gros qu'un pain d'épice d'une livre dont il a la forme et la couleur. Enfin ça bouchera toujours un trou. Mon butin est maigre et mon retour aux Stokes n'est pas salué joyeusement par les copains.

"Vous n'avez pas un cabot qui s'appelle Monnard au canon", nous demande un agent de liaison qui nous interpelle tout en bandant sa main qu'une balle a traversé, "Si ! Si ! eh! Monnard, on te demande".

Monnard est en train de dévisser une fusée de 105; il s'approche de l'agent de liaison que nous avons fait entrer dans l'abri et que je panse.

"C'est moi Monnard. Qu'est ce qu'il y a ?", "Au Colonel tout de suite"

L'agent de liaison repart en tenant sa main et en faisant la grimace suivi de Monnard. Ils font un grand détour par le bois pour ne pas être vu des Boches, surtout que l'agent de liaison, qui a son compte pour l'hosto, ne tient pas a prendre un petit supplément.

Au bout d'une demi heure, Monnard revient en agitant une feuille de papier qu'il exhibe d'une main radieuse.

"Ca y est, les gars, ça y est. Je pars dans les tanks"

Nous félicitons Monnard qui nous embrasse à tour de rôle. La joie lui fait couler des larmes. Nous sommes vraiment heureux pour lui de la décision du Colonel, car Monnard en perdait le boire et la manger dans l'attente de savoir si sa demande serait agréée ou refusée. Depuis longtemps il était attiré par les engins à moteur et deux fois il avait demandé à rentrer dans l'aviation, mais ses demandes avait été refusées et a défaut d'aviation il avait demandé à rentrer dans les tanks où on le dirigeait enfin sur un centre d'instruction à ORLÉANS.

"Tenez les gars, voilà une boite de confiture; tiens Toto voilà mon stylo, c'est toi qui me la presque usé tu le finira!". A chacun de nous il distribue quelque chose en souvenir, en me donnant son stylo il m'a fait un grand plaisir, et accrochant ses musettes que bossellent seulement quelques fusées d'obus, il nous quitte en nous embrassant une fois de plus.

"Attention à ne pas te faire amocher en route, les mitrailleuses tapent dur sur la piste de VILLERS-HÉLON," " T'en fais pas mon vieux Toto, on fera gaffe. Je t'écrirai sitôt arrivé et comme je passe à Paname, j'irai voir ta marraine."

Monnard nous quitte sur ces mots et gravit allègrement la pente qui conduit a VILLERS-HÉLON.

Mais là-bas, le Fritz l'a vu et il a mis du grain à son moulin. Le tac, tac, tac de sa mitrailleuse se fait entendre et nous voyons autour de Monnard les balles qui frappant le sol, font s'élever de petits nuages de poussière. Monnard court en zigzag déroutant le tir du Fritz, puis une autre mitrailleuse se joint à la première, mais Monnard est arrivé à la crête.

Malgré le tir, il se retourne, et agitant sa feuille de route, il nous dit au revoir, puis il disparaît en même temps que disparaît de notre coeur le poids de notre émotion, car nous ne pensions pas qu'il puisse arriver jusqu'en haut. Maintenant il est sauvé, car derrière la crête le terrain descend jusqu'à LONGPONT.

Son départ nous a un peu consterné. I1 était si bon camarade, toujours joyeux, toujours blagueur, toujours le premier à la pièce ou au créneau et que de fois il pris la garde a la place d'un de ses hommes malade. Enfin, il a le filon ! le temps de faire ses classes et la guerre sera peut-être finie car nom de Dieul ça finira bien un jour cette boucherie, le bétail fera peut-être bien la grève : il est vrai que nous sommes si avachis.

Mayeur a découpé le pain du Fritz en huit tranches seulement maintenant qu'il n'y a plus Monnard. Sur chaque tranche il étale la confiture de Monnard et par dessus une bonne couche de beurre que Gasnier a extrait de sa musette. Cette tartine calme un peu notre faim.

Les Fritz nous arrosent maintenant avec des obus à gaz et nous sommes obligés de mettre le masque. B1ézel arrive et m'envoie au Lieutenant. Celui-ci est dans un petit bois à deux cent mètres de nous.

Le Lieutenant m'apprend que je remplace Monnard et qu'il faut nous poster dans le bois en face du :·PLESSIER-HULEU, nous mettre à la disposition du 6ème Bataillon qui va attaquer pour prendre cette position.

En revenant, une balle me traverse mon masque que j'avais gardé sur la figure, les Fritz continuant leur tir d'obus à gaz. Le picotement des gaz me prend à la gorge et j'arrache mon masque devenu inutile. J'imbibe mon mouchoir d'alcool de menthe dont j'ai toujours un flacon dans ma cartouchière arrière et je me colle ce tampon sur le nez et la bouche. Ca va mieux mais les yeux me cuisent.

Heureusement je trouve un masque sur un macchabée et je rejoins sans grand dommage les copains à qui j'apprend la nouvelle. B1ézel revient nous dire de ne rejoindre le 6ème Bataillon que demain matin à la pointe du jour. Nous passons donc la nuit dans notre petit gourbi bien tranquilles.

20 Juillet

Le lendemain, nous partons à quatre heures du matin, nous mettre à la disposition du Commandant du 6ème Bataillon. Nous traversons un grand bois où nous trouvons les vestiges des baraquements boches, souvenir de six semaines d'occupation allemande.

Mayeur est sidéré par l'installation des feuillées boches, fermés par une grande planche servant à poser les pieds et à quatre vingt centimètres du sol d'une grosse perche pour appuyer les reins. La perche a bien quatre mètres de long et aucun feuillage ou fascinage ne cache la vue de ces feuillées.

Carlier rouspète contre l'indécence des Fritz. "Tu parles si c'devo être rigolo de posé sin brin en famille" dit il.

Mais on nous réclame en avant et nous repartons sans avoir eu le temps de visiter l'intérieur des baraquements.

A l'orée du bois, les poilus du 5ème Bataillon nous arrêtent, nous apprenant qu'il n'y a que les boches devant eux sur les pentes du village de PLESSIER-HULEU.

Le 6ème Bataillon va attaquer face au village. L'attaque est pour cinq heures. Nous ne pouvons pas rejoindre le 6ème Bataillon et nous nous mettons à la disposition du 5ème.

A cinq heures branle-bas de combat, et vingt minutes après, nous apprenons que le village est à nous. Gasnier montre une figure réjouie.

"On va pouvoir croquer", me dit-il.

Un ordre arrive de nous porter dans le village, mais nous n'avons pas fait cent mètres que nous voyons les poilus faire demi-tour délogés de PLESSIER-HULEU par les renforts que viennent de recevoir les Fritz. Nous nous mettons immédiatement et sans ordres en position de tir et lorsque les Fritz arrivent à bonne portée de tir, nous leur envoyons la quarantaine d'obus dont nous disposons, Nous réussissons à enrayer la contre-attaque, et ce qui reste de Fritz, environ l'effectif d'une compagnie regagne le village poursuivis par les baïonnettes du 5ème Bataillon, auxquelles se joignent celle des éléments d'un régiment d'infanterie qui est à notre gauche, mais les Fritz restent maître de PLESSIER-HULEU et nous sommes obligés de regagner le couvert du bois.

Maintenant tout est calme et de chaque côté on respire et l'on se compte avant de recommencer le deuxième acte. Nous nous préparons un abri en cas de bombardement. Carlier est parti au train de combat chercher des obus avec une corvée de la 18ème Compagnie, car le Lieutenant reconnaissant que nous leur avons sauvé la mise m'a offert sans que je lui demande les hommes nécessaires au renouvellement de nos munitions.

"Eh ! Toto, eh mon pot'", crie une voix dans le bois. "I1 est là", répond Mayeur pensant bien que c'est moi que l'on appelle. Et Je vois mon vieil ami René Viguier, le parisien dont les parents tiennent le café du "Bol d'or" à la porte CHAMPERRET, la figure pleine de sang, marchant avec peine et soutenu par un de ses camarades qui lui aussi est blessé à la tête.

"T'est amoché, mon vieux !"

" Oui, un éclat de je ne sais quoi, qui m'a pris en traître et m'a coupé un peu la joue et comme en passant j'ai vu un de tes zèbres, je lui ai demandé où tu étais et me v'la, comme je vais sûrement être évacué, je venais te dire au revoir et te demander si tu avais des commissions pour Paname.

" Oh oui ! ben si tu vois ma marraine, tu lui diras que je me la coule douce, qu'on est peinard et que notre plus grand boulot c'est de ramasser des fraises dans les bois...."

"Ben ! t'en as du culot toi, si je la vois, j'y dirai que t'en bavé comme un Russe, à vingt mètres des frigolins et que la peau de ton ventre a rejoint celle de ton dos". Le fait est que tu as une sale tronche.

"Fais pas l'âne ! hein c'est pas des trucs à dire à une femme ça ! Tu lui ferais tourner les sangs". René rigole d'un rire un peu forcé et me quitte en me donnant quatre biscuits et un paquet de tabac. C'est ce qu'il avait gardé soigneusement en se serrant le ventre et en fumant au ralenti.

"Je te cherchais exprès pour te le donner " me dit il " j'ai vu et j'ai entendu tout à l'heure que vous étiez là et à la façon dont vous avez tiré, je m'étais dit tiens Toto doit être dans le secteur.

Je lui serre la main mais lui m'embrasse fraternellement et je lui souhaite un long et bon stage dans un bel hosto avec de jolies petites infirmières.

"Oh ! dis pas ça malheureux", me dit il " tu vas me faire courir".

Le canon de 37 se met à tirer sur une petite éminence à droite de nous, et B1ézel vient nous apprendre que nous réattaquons à neuf heures, sur le village, soutenu par un Bataillon du 1er RI, de deux Compagnies du 201ème et d'éléments du 48ème RI. Ce doit être ce régiment qui nous a aidé tout à l'heure à repousser la contre-attaque.

Carlier revient avec les poilus de la 18ème Cie et maintenant nous sommes riches en munitions.

A neuf heures moins dix, nous exécutons un tir de balayage sur les abords et sur les premières maisons du village. A neuf heures exactement les tanks sortent du bois et suivis des éléments des quatre régiments, abordent PLESSIER-HULEU, qu'ils passent en ouragan et vont d'un bond s'établir à cinq cent mètres de l'autre côté du village. Nous sommes donc les maîtres du village.

La première chose, que nous faisons, est de repérer un bon coin et la grenade à la main, nous explorons les caves du patelin. Nous avons fait plusieurs caves et ne trouvons rien à notre convenance. Mayeur qui cherchait de son côté, nous appelle.

"Y'a in' bonne caf' mais je crô qu'alle éto incor' habitée par ché boches".

"Attend, je va y coller an'e paire ed'e grenades", dit Carlier

"Dis à Toto, qu'il appelle avant; y connaît le boche", lui conseille Gasnier, je m'approche de l'entrée de la cave et crie dans le plus d'allemand que je sais :

"Kameraden, tou gefenne die Franzouses, nix Kapout, allez kommen".

Des voix répondent des mots qu'on ne comprend pas, " Tu vois qu'y a du monde", me dit Mayeur, "M'y je vo balincer un' grenade".

"Laisse faire, on va les prendre vivants", dis je à Mayeur en lui baissant le bras. Des pleurs montent maintenant de la cave.

" Tu vois y chiallent, ça doit être des jeunes". Gasnier me prête sa lampe électrique et mon revolver à la main je descend dans la cave qui a une quinzaine de marches les sanglots redoublent et braquant ma lampe dans la direction de ceux-ci, j'aperçois dans le rayon lumineux deux pauvres vieux qui à genoux implorent ceux qu'ils croient être des allemands. J'en suis comme deux ronds de flan.

"Eh ben ! Grand père, eh ben ! Grand mère, faut pas vous en faire les Fritz sont partis, vous n'avez plus rien à craindre, on les a chassés à grands coups de pieds au derrière".

Les deux pauvres vieux ont de la peine à se remettre de leur peur qui est d'ailleurs bien compréhensible et ce n'est que lors que Mayeur a allumé un morceau de bougie qu'ils reprennent confiance. Je m'aperçoit que les deux vieux ne tiennent plus sur leur jambes et qu'ils ont diablement besoin d'un réconfortant .

Malheureusement nous n'avons rien. I1 faut leur trouver quelque chose et je sort de la cave pour voir si je peux dénicher ce qu'il leur manque. Comme je sors de la cave, une main me tape sur l'épaule; encore émotionné par la vue des deux pauvres vieux, je bondis et braque dans la direction de celui qui m'a touché, mon revolver que j'ai gardé à la main. Je vois devant moi la noble figure, toute souriante du Père Hilaire l'aumônier du régiment.

"Eh bien, grand chenapan, que cherches tu ?" me dit il d'une voix qu'il essaye de rendre sévère, croyant que je pille les caves.

"Je cherche quelque chose pour réconforter deux pauvres vieux, monsieur l'Aumônier, nous les avons trouvés dans cette cave, presque morts de peur et de faim et un peu plus on leur collait une grenade sur la gueule".

"Sur la figure, mon ami, sur la figure ! Allons fait moi voir où ils sont".

J'aide l'Aumonier à descendre dans la cave et lui montre les deux vieux. L'Aumonier leur fait boire un peu de gnôle, les deux paires d'yeux revivent et nous lisons les mercis que ne peuvent proférer leurs lèvres que fait encore trembler la peur endurée certainement depuis le commencement de l'attaque.

L'Aumônier sort ensuite de son grand bissac une boule et du chocolat, il partage la boule, en donne un morceau aux vieux qui les portent vivement à leur bouche.

Comme il est blanc le pain; comme il sent bon et comme notre ventre en voudrait. Nous sortons de la cave, chassés par la vue et l'odeur du pain et du chocolat laissant l'Aumônier se débrouiller avec les vieux.

"Tu parles, ces pauvres vieux", me dit Gasnier, "s'ils la sautaient"

Nous trouvons le Colonel qui a déjà installé son P.C. dans une cave du versant sud-ouest de PLESSIER-HULEU. Son secrétaire nous dit de nous tenir à sa disposition et de nous mettre dans une cave à proximité de la sienne,

Notre cave est assez spacieuse et nous avons tôt fait d'en faire un gourbi convenable. Une grange pleine de paille nous fourni notre lit, B1ézel vient nous avertir que nous pourrons aller chercher la soupe ce soir à onze heures à SAINT REMY BLANZY et que les roulantes y seront; côté LONGPONT.

Nous patientons donc jusqu'au soir et à dix heures, je pars avec Carlier chercher le frichti. Nous sommes de retour vers onze heures et demie et chacun se tape la cloche comme des gars qui n'ont pas mangé à leur faim depuis quatre jours. Un bon coup de pinard et une bonne lampée de gnôle et au dodo. Chacun mêle bientôt ses ronflements sous la garde de Mayeur, posté à l'entrée de la cave et de Gasnier qui est aux pièces que nous avons mises en batterie dans un jardin face aux positions tenues par le ler régiment d'infanterie et le 5ème bataillon.

Le matin arrive en même temps que B1ézel, qui nous apporte un ordre du Lieutenant, d'aller effectuer un tir de stokes sur une des dépendances du château où les Fritz ont établi un poste de mitrailleuses. Nous voilà donc partis tous les huit à la suite de B1ézel, pour effectuer les ordres du Lieutenant. Nous arrivons au château où se trouve l'officier qui nous dit d'attendre. Nous allons donc nous planquer dans une pièce du château.

Nous y trouvons les stokistes du 1er RI qui ont été alerté comme nous, pour le même objectif et c'est leur lieutenant qui nous a reçu.

"Dis donc! Toto c'te,une ferme, ton.catiau", me dit Mayeur qui devait penser à VERSAILLES.

Notre Lieutenant vient nous rejoindre et nous apprend trois bonnes nouvelles : 1° - I1 est promu porte-drapeau en remplacement de Brouillard mais il reste au canon,

2°·- que c'est les stokistes du 1er RI qui feront le tir sur les mitrailleuses boches et qu'ils vont être obligés de tirer à découvert,

et 3°, que dans notre tir d'hier nous avons démoli deux mitrailleuses dont une qui depuis la veille interdisait au 2ème bataillon du 48ème RI de sortir du bois où il s'était réfugié.

Le Colonel nous adressait ses félicitations et le Lieutenant était très content de nous. Les télégraphistes de la CHR viennent nous déloger de la pièce que nous occupons, et, malgré nos grincements de dents, nous sommes obligés de déguerpir, juste comme les stokistes du 1er RI: commencent à tirer; les Fritz répondent aussitôt et une rafale de 77 s'abat sur le château, bientôt suivi des méchants 88 et des gros 150. Les obus s'écrasent autour de nous pendant que noua cherchons un coin pour nous mettre à l'abri.

"Viens din l'cave", nous dit Wafflard, qui de l'entrée a vu notre situation. Nous déposons en vitesse nos obus sous un hangar et bondissons dans la cave du château.

Cette cave est déjà pleine et c'est tout juste si on peut arriver à se caser. Une grande partie de la CHR y est déjà installée; enfin nous arrivons tout de même au fond et assis sur des marchons, nous écoutons le bombardement qui redouble d'intensité.

"Où est Mayeur ?", demande Wafflard. Mayeur n'est pas dans la cave; il a du resté sous le hangar à ranger les pièces et les obus. Maintenant le bombardement est à son paroxysme et la cave tangue comme un bateau.

Si Mayeur est toujours sous le hangar il doit serrer les fesses à en écraser des noisettes. Je monte en haut pour voir s'il n'y a pas moyen de l'appeler, mais un sapeur de la CHR qui est à l'entrée de la cave m'apprend que Blezel est venu le chercher pour aller au colon porter un pli du Lieutenant. Au bout de dix minutes, Mayeur revient et nous apprend que nous venons d'attaquer avec les tanks pour dégager les abords du château, et bien sûr, les Fritz s'y trouvent bien et pour le moment cognent dur sur toutes nos positions.

Un éclat a touché Mayeur à la cuisse, mais pas de mal. " T'sais Toto, les stokes du 1er ont tiré, mais y a eu d'el casse un obus est tombé in plein su'l pièce et le sergent Maxime, ch'grand qu'avo point d'moustache a été tué avec sin pourvoyeur et le cabot Delmas a in bras arraché et pis y a tin copain d'el 22 qui vient d'ce faire descindre."

" Mon copain, lequel,?", " Le gros ch'ty qu'éto le copain de Depuille de la 1ère pièce et qu'eto avec t'y au 53ème, a n'a pris in coup in plein ch'giff et il éto à l'intrée d'el cave."

J'essaye de monter en haut de l'escalier, mais il est bondé maintenant, les mitrailleurs du 6ème bataillon sont venus s'y réfugier car le bataillon n'est pas engagé dans l'attaque.

" Où va tu?" me demande le Lieutenant des mitrailleurs. "Je veux voir mon copain qui vient d'être amoché, Delvoye qu'il s'appelle.", "Ah ! Si c'est Delvoye, tu peux redescendre, Je viens de le faire emmener par deux de mes hommes, mais tu sais il est foutu."

Je rejoins les copains sur les marchons de la cave et la tête dans les mains je repense à Delvoye qui vient lui aussi de disparaître, comme d'ailleurs, nous disparaîtrons tous, les uns après les autres tués par la cupidité des gouvernants.

Lui aussi venait du 53ème RI et de tous ceux qui de ce régiment étaient venus en renfort au 233ème RI au mois de mars 1917, il n'en reste guère maintenant, et nous étions près de trois cent, nous devons être encore une quinzaine. Mon cerveau travaille maintenant et me fait revoir tout ceux qui ont disparu et qui ont tenu une place plus ou moins grande dans mon coeur de poilu.

Le premier a été Bonnet, mitrailleur à ce moment à la même section que Delvoye, c'est lui qui ouvrait la liste funèbre du renfort du 9ème bataillon du 53ème RI, la matin du 16 Avril 1917 à CRAONNE suivi du petit Boursier qui n'était pas plus grand que son sac. Une balle explosive le faisait rejoindre Thevenon de SAINT-ETIENNE, Boyer de BEZIERS.

Dans la relève disparaissaient Warton et Brégère. La Belgique me pris mon vieux Paul Augier de VALENCE et qui recevait de si bonnes boites de marrons. A l'attaque du 28 Octobre à la forêt d'OUTLUST, trois autres bons copains: Gombault, Bochu et l'adjudant Elnecque. Le sergent Debeaudringen disparaissait le lendemain à la retraite de SERMOISE, Depuille et aujourd'hui c'est le tour de son meilleur copain Delvoye. Ah ! nous ne restons pas lourd de ce renfort, comme d'ailleurs de tous les renforts.

Je revoyais aussi les disparus du 233ème en plus grand nombre, parce que moins dispersés, mais ils étaient tout de même de bons camarades et à chaque station de notre calvaire, nous en faisions comme des jalons sur le chemin de nos souffrances. Le premier était le Lieutenant Lotton tombé en sortant de la tranchée de départ le 16 Avril à CRAONNE. Ce jour là la liste fut longue, mais arrivé tout neuf à ce régiment, je n'y connaissais que les ch'timi de mon escouade. Nous étions neuf au départ et je revins seul avec Paul Augier. I1 n'en fut pas de même le 31 Juillet, en Belgique d'où je revins seul de l'escouade laissant cette fois mon cher Paul, les deux jambes arrachées couché pour toujours dans un trou de torpille en face de l'abri Lherissen. Le 26 Octobre, mon ancienne escouade de la 15ème compagnie était anéantie complètement et ça continuait toujours.

Je me revoyais en Belgique, à la ferme Blanche le 30 Octobre ou j'avais été demandé des nouvelles des copains de l'escouade; je n'en trouvais point et personne ne voulait me dire où ils étaient. Ce fut le Commandant Pons qui m'apprit que montés quatorze le matin du 26, à quatre heures du soir le caporal Reymondier qui commandait cette 9ème escouade, disparaissait le dernier après avoir vu tous ses hommes descendus à par les mitrailleuses.

Mon cerveau bouillait dans ma tête et il me semblait que celle-ci allait éclater. Une envie folle me prenais de fuir ces lieux de tuerie et de m'en aller plus loin pour ne plus entendre et ne plus voir ce que j'avais déjà trop vu et trop entendu. J'enlève mon équipement et je le jette rageusement à terre. La baïonnette vient frapper violemment Michel Bellamy à la figure.

"Tu deviens fou", me crie-t-il. "J'en ai marre et je ne veux pas rester là, j'aime mieux foutre le camp". "Et les copains", me crie Gasnier, "tu les laisserais". "Les copains, je m'en fous ! J'en ai plus, laissez moi; je veux m en aller, je ne veux pas mourir",

Je réussis à prendre mon revolver mais Bourdeux me saute dessus et me renverse. "La troisième pièce, suivez moi", crie du haut de l'escalier de la cave, notre adjudant", "corvée de cartouches pour toute la pièce."

La voix de l'adjudant me fait reprendre mes esprits et le bon sens me revient pendant que les copains m'aident à me rééquiper. Ce bon Wafflard me fait boire de force la presque totalité d'un verre de gnôle.

" Sacré martiaux ! " me dit il en roulant de gros yeux. Je monte la dernière marche et en haut, sur le palier, je vois une grande mare de sang, déjà piétinée par les godillots profanes des copains qui courent pour traverser sous le bombardement, la cour séparant la cave de l'entrée du château.

A la vue du sang de Delvoye, je serre les poings, mais la force de l'esclavage a repris le dessus et je m'élance dans la cour juste au moment où un 105 éclate derrière le mur de clôture du château qui s'écroule avec fracas, pendant que je réintègre la cave.

"Allez, en vitesse au bureau du colon", crie l'adjudant. Je bondis à nouveau et suivant les copains, dans les rues du PLESSIER-HULEU, nous prenons au pas de course la direction du bureau du colon.

Je donne un coup d'oeil aux maisons du patelin. I1 a bougrement changé depuis hier. Quand nous sommes montés à l'attaque, presque toutes étaient intactes et notre artillerie n'avait presque pas tiré dans cet endroit; mais maintenant c'est l'écrasement méthodique par l'artillerie allemande et tant qu'une maison sera debout, le bombardement continuera.

En chemin, nous croisons un grand gaillard en leggins et paletot de cuir; sous le bombardement, il avance tenant à la main un casque d'aviateur, il est encadré par deux poilus à la pastille jaune du 6ème bataillon. Comme nous il se dirigent vers le P.C. du colon.

Ils arrivent peut de temps après nous et nous apprennent que c'est un aviateur boche dont l'avion vient d'être descendu par un gars du 1er d'infanterie d'un coup de fusil. L'avion s'est écrasé en avant de PLESSIER-HULEU. L'avion est dans un triste état, mais l'aviateur est indemne. I1 a fait tout de suite Kamarade car les poilus du 6ème bataillon s'étaient portés au point de chute et la réception qui attendait l'aviateur à sa sortie de la carlingue ne présageait rien de bon.

Depuis le matin, l'aviateur leur lançait des paquets de grenades et sans le Capitaine Delattre qui se trouvait là il aurait passé un mauvais quart d'heure.

Au bureau du colon, le Lieutenant nous donne des ordres pour la corvée de cartouches. Le calme est enfin revenu pendant que nous retournions au château, chercher nos toiles de tente qui étaient restées avec notre fourbi dans la cave. Ces toiles nous servirons pour mettre les cartouches que nous devons aller chercher à SAINT-RÉMY-BLANZY auprès du tambour-major qui avec ses tambours et clairons a la garde du dépôt de munitions.

Notre toile de tente et notre carabine en bandoulière nous prenons la direction de SAINT-RÉMY. Le bombardement s'est calmé et nous suivons tranquillement la route.

Le chemin qui était défoncé à l'entrée du château sur environ deux cent mètres est déjà comblé de fascines pour permettre aux tanks de remonter cette nuit sans beaucoup de bruit pour surprendre les Fritz de leurs emplacement de l'autre côté et à la droite du château, l'attaque de tout à l'heure ayant échoué. A l'entrée du patelin, nous voyons l'avion du Fritz qui s'est écrasé au milieu des pommiers, Carlier veut déchirer un morceau de toile d'une des ailes mais un poilu du 6ème bataillon qui garde ces débris, surgit d'un trou ou il était planqué et menace Carlier d'un coup de baïonnette dans le ventre s'il approche.

"Pauvre con !" lui dis je, "on veut pas te le prendre ton s'oizeau. Fais plutôt attention que les Fritz ne viennent pas le rechercher et t'emmène avec eux pour le garder"

Le poilu n'est pas content et bien campé sur ses jambes menace toujours Carlier. "Allez Jules, amène toi " lui dit Gasnier.

Nous repartons dans la direction de SAINT-RÉMY où nous arrivons au bout d'une bonne vingtaine de minutes. A l'entrée du pays deux poilus du 5ème bataillon sont étendus au milieu de la route dans une mare de sang. Nous les tirons de là et les mettons dans une espèce de petite écurie attenant à la première maison de St REMY sur la droite.

Nous reprenons notre excursion dans St REMY en père peinard. "Vous êtes pas un peu cinglés de vous baguenauder comme ça", nous crie un sergent d'une maison sur la gauche. "Planquer vous la rue est prise en enfilade par des 88"

I1 nous indique que le tambour-major est au bout du bled. Au bout du pays nous trouvons le tambour-major Arkembourg et nous remet à chacun vingt trousses de cartouches. Comme je lui dis qu'on la pète, il me donne quatre boites de singe et une boule et après avoir bu un bon coup de pinard et rempli le bidon de Le Troadec d'eau et celui de Mayeur de pinard nous reprenons le chemin du PLESSIER-HULEU.

Nous nous arrêtons à la maison où nous avions laissé les deux gars du 5ème bataillon, pour nous reposer. Les deux morts ont été emportés par les brancardiers que nous avions averti.

Nous n'avons pas fait cent mètres que deux 77 éclatent près de nous en plein sur la route. Les ayant entendus venir nous nous planquons dans un petit fossé qui longe la route à gauche. En arrivant vers le bois nous voyons à droite à travers champs un gros tank qui a été touché sûrement hier.

Un agent de liaison qui nous attend, nous transmet un ordre d'avoir à porter les cartouches sur la petite éminence là haut à droite, et d'où tirait hier le canon de 37 lors de l'attaque des 1er et 201ème. Nous partons donc dans cette direction coupant à travers champs.

"Ah dis donc ça a bardé dans le coin", me dit le petit Tulier en me montrant sur notre droite et en avant de nous des poilus tués avant ou pendant l'attaque. I1 y en a au moins une cinquantaine mais comme ceux de droite ne sont pas sur notre chemin, nous ne savons pas qui ils sont. Ceux qui sont en face étaient du 4ème bataillon.

Arrivés à cette petite butte nous trouvons Marcel Neveu avec Bourgues et Laquais qui sont là en batterie. Les autres viennent de partir chercher des obus de 37. Nous refilons une boite de singe à Neveu, un coup de pinard à eux trois et filons directement sur PLESSIER-HULEU qui n'est pas loin.

A trois cent mètres du bled nous trouvons un emplacement de mitrailleuse lourde avec trois Fritz mort.. Plus loin Gasnier trouve une mitrailleuse légère encore en position sur son petit trépied. Son propriétaire mort aplati sur l'engin dont un quart de la bande a été tiré. Gasnier se charge de la mitraillette et Tulier du trépied. A coté de la pièce dans un emplacement Je trouve un énorme fusil que nous supposons être un fusil antichar; je l'emporte aussi.

Nous regagnons tranquillement PLESSIER-HULEU car l'endroit où nous sommes n'est pas vu des Fritz et on peut y prendre l'air sans inconvénient.

Nous arrivons au P.C. du colon vers sept heures et remettons à notre Lieutenant la mitraillette de Gasnier et mon fusil anti-tank. Celui-ci est très examiné par le Colonel qui le commente à son état-major. Comme nous écoutons ses explications, il nous voit et nous engueule.

"Qu'est ce que vous faites là, vous autres ? Voulez vous me foutre le camp et au trot", " Ben mon vieux ! Je t'en rapporterai des jolis petits fusils pour t'amuser", pensai-je en regagnant l'abri où les copains se moquent de moi, qui avait eu l'idée de porter mitraillette et fusil au colon.

B1ézel arrive et nous apprend qu'il faudra aller à la soupe à onze heures à St REMY. Carlier et Delplanque sont appelés au Lieutenant.

"T'iro t'y à la soupe" me dit Wafflard, "t'conno le chemin" "Si tu veux" lui répondis-je, ça me promènera, je ne suis pas sorti aujourd'hui".

Nous préparons donc bidons et bouteillons et en attendant l'heure nous mangeons la boule et les deux boites de singe don de ce cher Arkembourg. Puis je pars avec mon fidèle Mayeur, nous retrouvons Bourgues et Blond de la 1ère pièce et Suzanne et Le Guyader de la 2ème.

Nous arrivons à St REMY à onze heures et trouvons le cabot patates qui se lamente parce que les téléphonistes ne viendront qu'à minuit.

"T'en fais pas vieux", lui dis-je, "les Fritz commencent à bombarder qu'à onze heures et demi, mais ils n'envoient que des obus à gaz, seulement, c'est le coin où tu es qui est repéré".

Bien entendu, le cabot fait une vilaine grimace et comme il est en train de me servir le pinard, j'en profite pour lui en escamoter un bidon. Quelques obus tombent sur PLESSIER-HULEU, mais ça ne dure pas et quand nous arrivons tout est fini et nous mangeons tranquillement la soupe à l'entrée de la cave sur une table montée par Carlier et éclairée par les étoiles qui brillent d'une grande intensité.

Nous restons encore trois jours au PLESSIER-HULEU à peu près dans le calme et le 26 nous sommes relevés par le 105ème RI. Nos pertes sont évaluées à 35% mais en compensation le régiment a gagné la fourragère.

Nous quittons le charnier du PLESSIER-HULEU à six heures du soir et à petit pas nous prenons la direction de SAINT-REMY-BLANZY. Le temps est très calme et pas un coup de canon ne trouble le silence qui nous environne. Tout comme nous les Fritz doivent faire la relève, car la saucisse est là bas qui nous regarde sans qu'il y ait de la casse.

Les compagnies sont relevées à dix heures pour la première fois depuis que je suis au 233ème le canon est relevé le premier. Nous avions l'habitude de quitter les lignes avec la dernière compagnie de mitrailleuses. Seule la deuxième pièce est restée et doit nous rejoindre à SAINT-RÉMY-BLANZY à dix heures et demie.

En arrivant à St RÉMY nous trouvons le cabot d'ordinaire avec a roulante qui nous sert la soupe pendant la relève. Les téléphonistes, les pionniers et les musicos arrivent ensuite et sitôt servis, la roulante s'en va pour aller nous préparer un bon jus qui sera dégusté demain matin sur la route de VILLERS-COTTERÊTS.

Nous nous reposons dans une luzernière à la sortie de SAINT-RÉMY-BLANZY en attendant la 2ème pièce et nous ne tardons pas à nous endormir sous la garde de l'adjudant. C'est bien son tour.

Des chansons nous réveillent. Mayeur qui est allongé à côté de moi regarde l'heure; il est dix heures et quart. Nous nous levons et nous approchons de la route de LONGPONT où commencent à passer les compagnies relevées. Pour le moment c'est la 22ème qui passe et les poilus chantent en allant vers le repos, Leur chant s'élève tragique dans le soir et rappelle les heures terribles de PLESSIER-HULEU. Ils chantent ce que l'on chante après les coup durs.

"C'est à PLESSIER sur le plateau"

"Qu'on a laissé sa peau.,.. "

Ils chantent leur misère et leur souffrance,

A cinq minutes suit le 4ème bataillon, mes amis de CRAONNE et de Belgique; ils entonnent la chanson du régiment, la vieille chanson du 243ème, la vieille chanson du Nord. Je trie au milieu des voix celle de mon ancien sergent de la 15ème, le sergent David dont la voix de ténor doit être entendue jusqu'au delà des lignes boches; il chante pour faire marcher ce qui lui reste de survivants, la chanson de Desrousseau.

"Ainsi l'aut'e jour eun pauv' dintelére"

"In amiclotant sin p'tit garchon"

"Qui d'puis tros quart d'heure ne fayot que braire"

"Tachot de l'indormir par une canchon "

"Elle lui diyot, min Narcisse"

"Demain tara du pain d'épiche"

"du chue à gogo"

"Si t'es sach' et que t'e fais dodo"

Et la poignée de survivants de David reprend en coeur :

"Dors mon p'tit quinquin"

"Min gros pouchin"

"Min gros roujin"

"t'me fera d'chagrin"

"Si t'ne dors point jusqu'a demain".

Dans la nuit auréolée d'étoiles, ils s'en vont chantant oubliant ainsi les heures criminelles qu'ils viennent de passer, en peu de temps ils sont redevenus des hommes et le silence des batteries allemandes leur a redonné l'espoir. Cette joie de vivre que l'on ne peut ressentir que lorsqu'on vient d'échapper à une mort que l'on attend à chaque jour, à chaque heure, à chaque minute, et sans savoir si ce sera une mort brutale et souvent espérée ou une mort lente qui par lambeaux vous arrachera cette vie que jusqu'au dernier souffle on voudrait tant garder.

Les poilus de David l'ont cette joie de vivre et l'on entend plus énergique à mesure qu'ils s'éloignent de la terre abhorrée; le 5ème couplet de notre chanson..,

Chantez poilus de la 15ème, chantez la chanson de votre pays, c'est le Te Deum de tous ceux qui sont restés là haut, que vous clamez à la face du monde et pour que celui ci entende votre voix, les canons se sont tus.

Je tends encore l'oreille pour écouter le chant de mes anciens compagnons d'escouade et le dernier couplet m'arrive comme un défi lancé aux Fritz. Les dernières paroles m'arrivent à peine perceptibles pendant que le défilé des compagnies fantômes continuent.

C'est maintenant la 18ème qui passe. Ils sont à peine quarante qui défilent eux aussi en chantant. Sous la lune qui brille et les rayons de sa lumière blafarde, je reconnais le Lieutenant Cabannes qui marche avec eux en chantant la chanson de Montmartre.

"Je cherche fortune"

"Autour du chat noir"

"Au clair de la lune"

"A Montmartre le soir"

La deuxième pièce arrive avec Chicoisne et nous prenons la route derrière la 19ème compagnie. I1 fait bon de marcher, le temps est radieux et le Lieutenant qui nous rejoint nous apprend que nous allons au grand repos.

Le canon de 37 est cantonné dans un patelin tout démoli où un seul mercanti vend un pinard infect et des boites de conserves à un prix fou. Nous y restons 15 jours.

Le 6 Août, branle bas de combat, le grand repos est fini et les camions sont au bout du patelin qui attendent. Le Lieutenant nous apprend que nous montons à LASSIGNY relever un bataillon de chasseurs que les Fritz viennent de décimer.

Le 28 enfin, nous embarquons en chemin de fer et le Lieutenant bien informé nous apprend que nous allons en Alsace, Le rêve de tous les poilus ! ..

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