LE 23ème RI, DE LA 41ème D.I., ATTAQUE EN DIRECTION D'OULCHY-LE-CHATEAU

Monsieur Paul Viet fut l'un des premiers soldats français à rentrer le 25 juillet 1918 dans Oulchy le Château. Il a bien voulu raconter ses souvenirs. Qu'il en soit remercié.

OFFENSIVE ALLEMANDE DE MAI 1918

Pendant l'hiver 1917-1918, les Etats-Majors alliés, (Français et Anglais) étudiaient les possibilités de grandes opérations pour l'année 1918. Pétain estimait, avec raison, qu'il était dangereux d'effectuer de grandes opérations qui présentaient des risques graves avant l'arrivée massive des Américains prévue pour fin 1918 Par contre, les Allemands, eux, avaient de fortes raisons de terminer la guerre avant l'arrivée des forces américaines. De telle sorte que les Allemands déclenchaient le 21 mars, par surprise, une offensive brutale contre les Anglais entre Somme et Oise et quelques semaines plus tard, contre les Anglais également, une seconde offensive dans les Flandres. Les Anglais ont été enfoncés et ont du reculer d'une soixantaine de kilomètres. Il était très possible de les voir capituler.

Le commandement français dut leur envoyer rapidement beaucoup de divisions françaises pour les aider à se rétablir. Mais les Allemands, profitant de l'affaiblissement de notre front, déclenchaient, le 27 mai 1918, entre Soissons et Reims, à partir du Chemin des Dames, une offensive éclair. L'armée française qui occupait ce secteur fut balayée en trois jours. Les Allemands arrivaient sur la Marne le 30 mai dépassant même celle-ci vers Dormans. Ce faisant, les Allemands s'étaient engagés dans un piège puisqu'ils avaient été bloqués sur leurs deux ailes et formaient ainsi une poche dans nos lignes.

Foch allait profiter de leur situation aventurée en déclenchant le 18 juillet l'offensive que l'on a appelé la Deuxième Bataille de la Marne.

Pendant la première quinzaine de juillet ont été rassemblées sur le front Est, en avant de la forêt de Villers-Cotterêts, deux Armées : - la 10ème Armée (Mangin) dont le front d'attaque allait de l'ouest de Soissons (Ambleny) jusqu'aux environs de La Ferté Milon (au Sud); - la 6ème Armée (Degoutte) avec quelques divisions américaines, devait attaquer à la droite de la 10ème Armée, jusqu'à Château Thierry.

Ces deux Armées attaquant en direction de l'Est.

La 41ème division (Bablon) dont mon Régiment, le 23ème RI faisait partie, était depuis deux mois sur le front des Monts de Flandres (Mont Kemmel). Nous quittions ce secteur le 6 juillet relevés par les Anglais, complètement réorganisés et étions incorporés à la 10ème Armée (aile droite) en liaison avec la 6ème Armée. Je ne parlerais plus maintenant que de ma section (l0ème Compagnie du 23ème RI).

OFFENSIVE FRANÇAISE DE JUILLET 1918

Le 16 juillet, cette 10ème Cie était en place à, environ, 1 Km 500 des lignes allemandes, à l'est d'Oigny en Valois, le long de la voie ferrée (voie unique) qui reliait Villers Cotterêts à La Ferté Milon.

Le l8 juillet à trois heures du matin ma section quittait cet emplacement et arrivait sur la route, à mi-chemin entre Faverolles et Troësnes. Nous étions à cet endroit, exactement en face du moulin de Neauvinne, à 300 m. Il faisait encore nuit lorsque nous traversions un très grand champ de blé, non coupé pour atteindre ce moulin sans être vus. A 4 heures, laissant à notre gauche le château de Maucreux et à notre droite le Buchet et le Buisson de Cresnes.

C'est à 4 h.35 exactement que la bataille s'engageait. A cette heure précise notre artillerie (3.000 pièces de tous calibres) se déchaînait. Tout à très bien marché dans l'ensemble; nous avons avancé de 2 à 3 km dans la journée. Malheureusement chez nous. au Moulin de Neauvinne, nous avons eu un coup dur: sur 26 hommes en tout, gradés compris, que comportait ma section, 21 ont été tués, 3 mutilés par un seul obus. Nous restions 2 indemnes. A ce moment, nous avons reçu un paquet de 2 à 300 Allemands qui se rendaient, non sans pertes, complètement affolés de peur. Nous avons pu tout de même avancer, nous étant incorporés (les deux rescapés) aux débris d'une autre section qui, elle-même, avait eu beaucoup de pertes.

Le soir de cette journée (18 juillet) nous étions à Ancienville. Nous nous sommes installés dans un abri (une espèce de silo) qui se trouvait juste devant l'église. Je suis entré dans cette petite église pour constater un désordre épouvantable : bancs, chaises renversées et cassées et, selon leur habitude, les Allemands avaient fait leurs besoins dans l'église et s'essuyaient les mains contre les murs.

Le soir du 19 juillet nous étions à Villers le Petit et Chouy. Le lendemain à Billy sur Ourcq.

Le 22 juillet au soir nous quittions ce village pour un petit déplacement vers la droite . Nous traversions un bras de l'Ourcq, et arrivions vers 9 heures du soir à Rozet Saint Albin. Une heure d'arrêt pour prendre notre repas.

Ici nous sommes informés que les renseignements ayant indiqué qu'il restait à Oulchy un certain nombre d'habitants, l'attaque aurait lieu de nuit de vive force et sans préparation d'artillerie.

Vers 10 heures du soir nous descendons jusqu'au carrefour des deux routes, l'une à gauche, allant directement à Oulchy la Ville, l'autre à droite, allant également à Oulchy la Ville par Montchevillon. A cet endroit, l'artillerie allemande nous prend à partie pendant une demi-heure. Elle tire surtout sur Montchevillon et Montgru Saint Hilaire. Nous remontons sur Rozet qui n'est pas bombardé. Nous perdons trois blessés.

Nous reprenons lentement notre marche en cherchant le contact car nous ignorons où se trouvent exactement les lignes allemandes devant Oulchy le Château. A la dernière maison à droite de Montchevillon nous abattons un cheval allemand blessé et entrain de hurler dans son écurie. A cet endroit nous perdons un homme tué par balle . Nous tournons à droite vers Breny, laissant Montgru saint Hilaire sur notre droite et descendons sur la voie ferrée que nous suivons jusqu'à la gare et au passage à niveau de Breny sans être inquiétés. A cette époque la voie ferrée était encaissée puisqu'il y avait un pont à traverser pour aller à Montgru puis elle se remettait à niveau du sol au passage à niveau.

Mon groupe (5 à 6 hommes) sort de la voie ferrée un peu avant le passage à niveau en sautant par dessus une grille et se trouve dans une rue bordée par 4 ou 5 maisons (ces maisons ne doivent plus exister car elles se trouvaient à l'emplacement de la gare actuelle). Mon groupe était ainsi protégé par ces maisons (parmi lesquelles se trouvait une boulangerie) de la vue des Allemands. Mais le reste de la section trouve plus simple de quitter la voie ferrée au passage à niveau. Ils sont alors aperçus par deux téléphonistes allemands en faction dans le fossé gauche de la route menant à Oulchy. Nous tombons à nouveau sous le feu de l'artillerie et des mitrailleuses allemandes (nous avons 5 tués) et sommes obligés de suspendre l'attaque. Nous nous réfugions derrière la gare du petit chemin de fer (tramway) qui montait vers Oulchy, Grand Rozoy et Soissons. Ici, encore un blessé et moi, un éclat crève mon bidon sans me faire de mal.

Vers 3 heures du matin, le 23 juillet, nous repartons pour tenter une nouvelle attaque mais nous sommes de nouveau arrêtés par les mitrailleuses et mon groupe est obligé de s'établir dans une espèce de petite carrière dans la butte boisée qui se trouve sur la gauche de la route. Depuis le passage à niveau nous avons gagné peut-être 300 mètres de terrain. Nous restons dans ce refuge jusque vers midi. Encore un homme mort brûlé par son réservoir de liquide enflammé percé par balles. Enfin mon groupe va rejoindre le reste de la section derrière la butte boisée à proximité d'un terrain où se trouvaient alors de très grosses pierres (2 à 3 mètres de tour et 1 mètre à 1 mètre 50 de haut).

L'affaire est terminée pour les 23 et 24 juillet. Nous ne bougeons plus, ni les Allemands du reste qui sont sur la défensive

Le jeudi 25 juillet, nous reprenons l'attaque à 5 h. du matin. La plus grande partie de la section par la route de Breny à Oulchy et mon groupe, à gauche, le long du bois et en avant des grosses pierres. Dès le début, nous perdons trois blessés par balles. Une mitrailleuse allemande est devant nous à la hauteur de l'entrée d'Oulchy, sur la droite. Nous ne sommes plus que 3 et la mitrailleuse allemande se retire. A cet endroit, nous sommes sur la falaise qui borde Oulchy sur sa gauche et nous ne pouvons pas descendre dans la ville cette falaise étant trop abrupte .

Il nous faut poursuivre jusqu'à la route venant d'Oulchy la Ville, à la sortie nord d'Oulchy, route un peu encaissée ce qui nous permet de nous abriter au talus, car une mitrailleuse allemande se trouve à quelques centaines de mètres sur la route de Soissons. Elle n'insiste pas et se retire sur Grand Rozoy Nous tournons à droite jusqu'à la maison du notaire et longeons la falaise jusqu'à l'entrée sud d'Oulchy. Sur cette petite rue, la falaise est creusée de celliers assez grands, certains sont aménagés en habitation cloisonnée en deux pièces comportant une façade en maçonnerie avec une ou deux fenêtres et une porte. Ces celliers étaient certainement habités à l'époque car il s'y trouvaient certains meubles et ustensiles ménagers. En avançant sur cette rue, j'aperçois deux paires de bottes allemandes dépassant de la porte de l'une de ces habitations. Je pensais qu'il s'agissait de deux Allemands tués . Mais soulevant une toile qui fermait l'entrée, je m'aperçois que c'étaient deux Allemands couchés sur le dos et bien vivants. C'était sans doute un moyen pour eux d'être pris sans trop de risques.

Nous les emmenons jusqu'à l'entrée sud d'Oulchy où nous avons le bonheur de retrouver le reste de la section qui venait d'y rentrer. Je n'ai plus eu qu'à remettre les deux boches au lieutenant Louis pour l'interrogatoire; il y en avait déjà deux; nous avions ainsi quatre prisonniers.

8 HEURES DU MATIN LE 25 JUILLET

Nous entreprenons tout de suite le nettoyage d'Oulchy. A trois nous longeons la rue le long des falaises de droite creusées aussi de quelques celliers. A l'église, nous entrons par la petite porte à droite de la grande. Je reste à l'entrée de la nef, sur le sol de laquelle se trouvent quelques brancards avec 5 ou 6 blessés allemands (évacués dans la matinée); deux de mes camarades montent dans le clocher et redescendent avec un Allemand. Nous avions donc 5 prisonniers sans combat. En fait il n'y a pas eu de combat à l'intérieur de la ville. Nous ramenons ce prisonnier au lieutenant et repartons. J'avais remarqué au bas de la butte de l'église que les Allemands avaient dispersé devant l'étude du notaire une grande quantité de papiers notariés. Nous les avons rentrés à l'intérieur.

Revenant à nouveau au sud d'Oulchy, je trouve dans une cour non clôturée, devant une maison perpendiculaire à la falaise, un habitant d'Oulchy, un homme d'environ 60 ans avec un garçon d'une quinzaine d'années; je cause avec lui quelques minutes. Arrive alors notre médecin major (le lieutenant Nalin) qui entre dans la maison; j'apprends alors qu'il vient pour pratiquer l'accouchement d'une femme (probablement la fille de cet homme de 60 ans). Tout de suite après, une ambulance emmenait toute la famille, soient un homme, une femme un jeune garçon et un nouveau-né.

En fin de matinée, nous étions installés à Oulchy et y resterions 3 jours. Au début de l'après-midi, je rencontre notre médecin major qui était aussi musicien; il me demande si je pourrais l'aider, avec quelques autres. Naturellement, je lui demande pourquoi faire. Il s'agissait de descendre un piano qui se trouvait au premier étage d'une maison. Nous voilà donc 5 pour descendre le piano par un petit escalier tournant: pas tellement facile.

Et nous portons le piano dans un cellier où était installé le P.C.. Bien sûr, le médecin ne tenait pas à jouer du piano au premier étage au risque de recevoir un obus sur la tête Par curiosité je suis retourné dans la maison. D'après ce que j'ai pu voir, ce devait être une institutrice du pays qui habitait là. J'espère qu'elle aura retrouvé son piano en rentrant, il n'était pas très loin.

Tout de suite après notre entrée à Oulchy, nous avons eu la visite rapide du général Mangin. Je ne l'ai pas vu car, à ce moment-là, j'étais dans l'église. Les Allemands avaient un atelier de développement de photos aériennes à Oulchy.

Le 28 juillet (dimanche) à 6 heures du matin, notre artillerie a déclenché un violent tir de pilonnage à l'est d'Oulchy, sur la butte Chalmont, en direction de Cugny; mais l'attaque de l'infanterie a été arrêtée sur la crête. Nous n'avons pu progresser que sur notre gauche, un peu avant d'arriver où se trouve maintenant le monument.

C'est à cet endroit que nous avons été relevés pour venir nous reposer 3 jours à Breny. Le soir du 31 juillet 1918 nous repartions par Armentières, les Crouttes, Saponay, Branges, Tannières pour terminer la bataille, en ce qui concernait notre division, à Mont Notre Dame où nous étions relevés définitivement le 5 août.

Il me revient en mémoire un fait qui s'est produit pendant notre attaque du 25 juillet. Un agent de liaison de notre compagnie qui attaquait à notre gauche vers Oulchy la Ville, m'a dit avoir vu sur la route, à quelques centaines de mètres au nord d'Oulchy le Château, une fourragère agricole remplie de tués que les Allemands n'avaient pu emmener, les deux chevaux de l'attelage ayant été tués.

Avec les blessés allemands que j'avais trouvés dans l'église, cela prouve la rapidité de notre avance le 25 juillet qui a obligé les Allemands à abandonner leurs blessés et leurs tués.

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