LE 48ème RI, DE LA FORÊT DE RETZ A LA VESLE

Monsieur Bidali, du 48ème RI raconte son approche de la lisière de la forêt de Villers-Cotterêts, le 17 Juillet et les combats jusqu'au 23 Juillet 1918, au Grand Rozoy

DU 15 AU 23 JUILLET 1918

Nous allions marcher toute la nuit, cette nuit du 15 au 16 juillet 18 qui était fort belle et tout paraissait calme. D'où venions nous? De tenir un secteur mouvementé depuis le 27 mai d'abord au bord du canal de l'Oise à l'Aisne du coté de Blérancourt en face du massif de Saint Gobain, puis par suite de la prise du Chemin des Dames reculer jusqu'à la dernière colline au nord de l'Aisne où se trouvent les charmants pays de Vic-sur-Aisne et d'Attichy.

Certes, on s'était arrêté sur les hauteurs de Vassens puis ensuite sur celle d'Autrèches mais une retraite, fut elle opérée en bon ordre, est toujours déprimante.

Allions nous être forcés de traverser l'Aisne? Les pont provisoires seraient insuffisants, la traverser à la nage, il ne fallait pas trop y penser, alors qu'allait il advenir de nous?

Or, le 5 juin à la tombée de la nuit, par surprise on reprenait le village de Hautebraye, puis le 17 une partie de cette colline pour terminer sa reconquête entière le 3 juillet, et c'est au cours de cette attaque où je fus cité.

Cette suite d'actions heureuses et réalisées sans trop de pertes remontait le moral mais tout de même un grand repos était nécessaire ainsi que le reprise en main du régiment, le 48ème d'infanterie de Guingamp, une fois ses vides complétés.

Alors allions nous vers ce grand repos, un peu en arrière du front ? C'était l'espoir et aussi l'ignorance et surchargés, nous marchions en aveugles et l'aube nous découvrait une campagne tranquille qui ne demandait qu'à vivre en paix.

Vers les neuf heures, nous faisions halte dans une petite bourgade d'où sur la carte, je n'ai pu la situer et partant de savoir son nom. Comme des masses, nous tombions fourbus sur le sol où se trouvait un peu de paille et tâchions de trouver quelque sommeil. Celui-ci dût être court car des roulements ininterrompus sur la route près de notre cantonnement nous empêchaient de dormir. C'était un convoi sans fin d'artillerie américaine qui ne devait pas un instant s'arrêter, je vois encore nombre de soldats nous tendant des bidons pour que nous les remplissions d'eau mais il était même impossible de les saisir.

Alors l'armée des Etats-Unis n'était donc pas un leurre ? On l'attendait certes et aujourd'hui elle paraissait, cette suite de canons, de caissons et de voitures indiquait que l'infanterie ne devait pas être loin, la verrions nous ? où ? quand ?

Combien de batteries sont passées devant nous? Cette question alimentait les conversations et nous avait fait perdre le sommeil pourtant, d'abord, tant désiré et si nécessaire aujourd'hui, mais sans doute resterions nous plusieurs jours dans ce cantonnement, alors il n'y avait rien à regretter.

Puis, à la tombée du jour, une nouvelle circula. On allait voir des chars de combat arriver. Personne à ce jour ignorait les nouvelles constructions de Renault et quand ceux-ci débarquèrent des camions qui, jusqu'à ce moment, les avaient transportés, ce fut l'étonnement de voir ces petits engins prendre la route pour aller où ? Pas loin sans doute, le peu de carburant transporté ne permettait qu'un court voyage.

Oui, cette journée du 16 était celle de la surprise mais ce qui fut l'inattendu, ce fut l'ordre d'une remise en marche immédiate et ceci sans aucun allégement. Sait-on aujourd'hui ce que pouvait représenter pour le fantassin l'armement, les munitions, les effets personnels, les deux masques contre les gaz, l'outil individuel, les vivres du jour et ceux de réserve, les impedimenta personnels ? Et par ce jour d'été, le même habillement qu'en hiver ! la capote, la vareuse, le casque.

On marcha, on marcha ! On entra dans une forêt et là, par le clair de lune, on découvrait des chevaux sans nombre et les cavaliers dormant à même le sol, des tirailleurs d'Afrique, le noir de leur peau se confondant avec celui de l'obscurité des bois, des chars mais cette fois-ci de grandes tailles et malgré le peuplement de ce sous-bois, pas un bruit, pas une lumière, où étions nous ? où allions nous ? pourquoi toutes ces troupes ? pourquoi tout ce matériel et ces chevaux ?

La compagnie marcha sur un layon et des deux côtés il semblait qu'il n'y avait personne et en nous faisant prendre une formation de colonne par un, on nous répartit derrière des arbres remplaçant, alors que je l'ai appris beaucoup plus tard des tirailleurs malgaches.

Où était l'ennemi ? Devant nous sans doute, mais encore ? Ceci paraissait pour le moment sans importance, chacun se laissant tomber sur le sol, tué de fatigue, je crois qu'au cours de cette marche des hommes ont pleuré de misère et j'en au vu jeter leurs paquets de cartouches pour s'alléger un peu !

Et cette journée du 17 fut absolument calme. Où étaient les Boches ? A quelle distance de notre ligne? Alors celui qui était réveillé restait allongé, le fusil à portée de la main et devant cette nature si calme et ces beaux arbres de la forêt de Retz, on ne pouvait qu'avoir des pensées de paix.

Puis, la nuit de nouveau tomba et la lune brilla. Qui veilla, je l'ignore, aucun ordre n'était parvenu et d'ailleurs qui l'aurait donné ? Les chefs comme nous mêmes devaient être aussi fourbus.

Mais au cours de la nuit, un roulement ininterrompu de toutes sortes de véhicules se faisait entendre et une courte pluie bienfaisante tombait sur nous, nous rafraîchissant, nous en avions tant besoin !

Je me réveillais avec la première lueur du jour et je vis le coureur de la compagnie passer derrière chacun de nous pour nous annoncer une relève.

Soudain parurent des petites colonnes d'escouade, par un, à intervalles de vingt pas, baïonnette au canon, soldats en kaki venir sur nous. C'étaient des Américains, donc de jeunes troupes inexpérimentées et me reportant aux souvenirs de l'instruction, pour opérer une relève en forêt on ne prend pas une formation d'attaque. Un sourire m'est venu et j'ai murmuré avec un peu de dédain : des bleus !

Non, ce n'étaient pas des novices, je l'ai appris plus tard, c'était la brigade des Marines qui avait pris une part victorieuse des combats du Bois Belleau, du côté de Château Thierry, qui n'opérait pas une relève mais s'enfonçait droit devant nous, donc c'était une attaque !

Et au même instant se déclenchait une violente canonnade, c'était le début de l'attaque de Mangin, celle de la Xème Armée et voilà alors pourquoi tout ce rassemblement de troupes et de matériel dans les couverts de la forêt !

J'étais toujours allongé et un officier américain vint à moi, me salua malgré les circonstances et me demanda fort poliment : "Monsieur ! les Boches ?" Par un geste du bras je lui indiquais ce que je pensais être la direction de la ligne allemande, puis on nous rassembla et l'on marcha comme l'on put sur le layon qui maintenant était encombré de chars, de tirailleurs allant dans un sens et de prisonniers allemands allant dans l'autre.

A un carrefour du bois, on fit halte. Mon sergent, le brave Lundi qui devait être tué quelques jours plus tard, ouvrit une boîte de conserves. Comme deux prisonniers se trouvaient à côté de nous, très simplement on la partagea en 4.

Cette journée du 18 juillet 1918 reste célèbre dans les annales de la guerre 14/18, ce fut le premier jour d'une attaque qui ne faiblit pas un seul jour jusqu'au 11 novembre, jour de l'armistice.

Cette attaque massive et par surprise fut un succès, le 18 au soir, je couchais dans un fossé de la route dominant Longpont, le lendemain on avançait encore mais dans l'après-midi on était arrêté devant le bois du Plessier Huleu, dans la plaine on était dispersé en tirailleurs, couchés, le sac devant nous pour si possible nous protéger des balles car les Allemands retranchés dans le bois devaient nous voir distinctement. Pourtant, les deux jours et demi que l'on resta là pas une balle ne siffla autour de moi et heureusement pour nous TOUS. Nous tous ? oui, la nuit tombée, m'étant levé, je m'apercevais qu'un Allemand blessé gisait près de moi, au chef de section, je demandais que ce blessé fut relevé sans retard, ce qui eut lieu et les brancardiers trouvèrent un autre blessé feld-grau tout à coté du premier. Un bienfait n'est jamais perdu, dit on, on allait bientôt le voir.

Dans la nuit du 22 au 23, la compagnie était rassemblée, et nous prenions une route qui nous conduisait à une petite commune située sur une petite éminence, au carrefour de routes, s'appelant le Plessier Huleu.

Toute était calme; au carrefour des camouflages devaient cacher, en principe, les mouvements de troupe, mais en ce petit matin, on aurait dit plutôt une sorte de guirlandes pour les fêtes. Avec mon escouade, j'étais placé dans une maison modeste qui n'existe plus aujourd'hui. Puis on nous dit de nous préparer pour l'attaque du Grand Rozoy et quelques instants après on débouchait dans la plaine qui sépare ces deux agglomérations.

Obus et balles ennemies commençaient leur sarabandes, je courrais et me trouvais presque face à face avec deux morts allemands, étant courbé, il me semblait que j'allais les embrasser tellement je me trouvais près d'eux ! Et maintenant c'était le terrain découvert, et je marchais maintenant seul, je voyais le but a atteindre : une petite maison aux tuiles rouges entourée d'arbres, à ma gauche un cimetière et près de lui un char gros modèle en panne ou mis hors de combat.

Je m'étais toujours dit que si au cours d'une attaque, je sentais mon courage fléchir, je mettrais baïonnette au canon et je reprendrais ainsi toute mon assurance. Je tirais du fourreau ma baïonnette, la fixais solidement et je prenais la position du pas de charge, maintenant j'étais sûr de moi.

La compagnie marchait en petites colonnes par un, les balles sifflaient et à notre tête se tenait le Chef de Bataillon. Me voyant seul, il me donnait l'ordre de me mettre derrière lui, et soudain, je vis une gerbe de balles balayant l'endroit où nous allions passer. "Est-ce pour moi ? Est-ce pour toi ?" une balle me transperçait le jambe droite juste au dessous du genou, je tombais et pouvais gagner un trou d'obus mais dont la mitrailleuse allemande arrosait les abords ? Il faudrait attendre peut-être très longtemps avant d'être secouru et qui me trouverait dans cet entonnoir ?

Soudain, je vis quelques prisonniers allemands sous la conduite d'un français tentant de gagner le Plessier. Instinctivement je faisais un signe de la main et à ma grande surprise, je voyais ces prisonniers se diriger, en dépit des balles qui sifflaient particulièrement ici, descendre dans l'entonnoir, me hisser sur le champ, me porter à deux en leur entourant le cou de mes deux bras et me porter au poste de secours établi au village. Là il y avait des blessés, des cris et peut-être des morts, je serrais de tout coeur la main de mes deux sauveurs dont je n'ai jamais connu le nom tandis que le français qui nous accompagnait disait au major: "Ce qu'on fait ces deux Allemands est très bien."

Et c'est ainsi que le 23 juillet 1918, pour la première fois je serrais la main à des Allemands.

LE PLESSIER HULEU - GRAND ROZOY

Ces deux petites localités sises au sud de Soissons ne semblaient n'avoir aucune vocation pour avoir leur nom retenu tant par nombre de Français que d'Allemands. Et pourtant, pendant longtemps ces deux localités fixeront bien des souvenirs tragiques d'anciens combattants des deux pays.

Pour en arriver là, il importe de rappeler des faits importants de l'année 1918 et dont voici quelques rappels :

Les Allemands ont en ce début de printemps une supériorité numérique et d'unité de commandement incontestable, aussi les succès se succèdent sans interruption :

le 21 mars victoire sur les Anglais-Portugais dans la Somme,

le 8 avril, nouvelle victoire dans le secteur belge,

le 27 mai, offensive sur le Chemin des Dames dont le succès dépasse les espérances du haut commandement, un arrêt sur une ligne Château-Thierry Soissons,

le 9 juin, victoire difficile dans le Matz et Villers-Cotterêts

le 15 juillet, victoire partielle à l'ouest de Reims, mais préparation d'une offensive dans le nord, cette fois c'est fini,

les alliés ont un commandement UNIQUE et leur renforts arrivent chaque jour, en particulier d'Amérique, alors pour eux supériorités en tous domaines,

le 18, attaque française allant de Soissons, Château Thierry, Reims, aide efficace des Américains, des Italiens et même de divisions anglaises,

au sud de Soissons, les premières lignes allemandes sont enlevées mais dès le 19 la résistance allemande s'affirme et l'attaque alliée est déjà arrêtée,

malgré les chars sans nombre qui serviront surtout à donner du moral à l'attaquant, des succès durement achetés et très limités sont obtenus chaque jour,

Pour le secteur intéressé ici, après la prise du Plessier Huleu, il s'agit de prendre la hauteur fortifiée du Grand Rozoy, aussi, le 23 une attaque est menée par les 201ème, 412ème et 48ème d'infanterie, au sud des Anglais, ce sera un échec, mais c'est seulement le 28, par la prise de Buzancy que les Allemands évacueront le Grand Rozoy après avoir fait payer chèrement la conquête de ce point névralgique de défense. Le cimetière de Chalmont en est le témoin,

Le 48ème arrivera jusqu'à la Vesle devant Braine, là, ma compagnie, la 7ème, connaîtra de lourdes pertes à la ferme Lagrange que les Allemands ont miné et que défendra le 1er régiment de Thuringe, 31ème d'infanterie allemand.

Honneur à tous.

1914 - 1918

HAUTEBRAYE

AUTRECHES

LE PLESSIER HULEU

LA VESLE

17 JUIN

3 JUILLET

26 JUILLET

3 AOÛT

HONNEUR - PATRIE

48ème Régiment d'Infanterie

Par ordre général 122 f du Général commandant en chef en date du 3 septembre 1918, le droit au port de la Fourragère aux couleurs du ruban de la croix de guerre a été accordé au 48ème régiment d'infanterie qui a obtenu deux citations à l'ordre de l'Armée pour sa conduite au feu :

RETOUR VERS LE MENU DES TROUPES FRANÇAISES

RETOUR VERS LE MENU PRINCIPAL

RETOUR VERS LE MENU DES RÉGIMENTS, DES DIVISIONS ET DES C.A.