SITUATION EN MAI 1918, FRONT FRANÇAIS.

Les informations ci-après sont principalement extraites de "LES ARMÉES FRANÇAISES DANS LA GRANDE GUERRE" édité par le Service Historique - État Major de l'Armée - 1920 - 1930.

LES FORCES EN PRÉSENCE

Le dispositif réalisé par les armées alliées, et en particulier par l'Armée française, au début de Mai 1918, est caractérisé par la concentration des forces disponibles dans la partie nord-ouest du théâtre d'opérations franco-belge. Ces armées, placées sous le commandement supérieur du général Foch (quartier général à Sarcus, au nord de Beauvais), comprennent :

Armée française :

103 divisions d'infanterie.

 

6 divisions de cavalerie.

Armée britannique :

52 divisions d'infanterie (plus 10 divisions cadres).

 

3 divisions de cavalerie.

Armée belge :

12 divisions d'infanterie.

 

1 division de cavalerie.

Armée américaine :

4 divisions d'infanterie.

Armée italienne :

2 divisions d'infanterie.

Armée portugaise :

2 divisions d'infanterie, en cours de réorganisation et non utilisables pour l'instant.

N.B. : La Constitution belge s'oppose à ce que des troupes belges, échappant à l'autorité de leur souverain, aillent combattre sons les ordres de chefs étrangers. Le total atteint 173 divisions d'infanterie et 10 divisions de cavalerie. Tant au point de vue tenue du front qu'au point de vue nombre des réserves, la densité des forces alliées est beaucoup plus grande dans la région comprise entre l'Oise et la mer du Nord, où se sont développées les offensives allemandes de Mars et d'Avril, que dans celle s'étendant entre la frontière suisse et l'Oise. Le bilan, en effet, s'établit ainsi :

 

EN LIGNE

EN RÉSERVE

Entre Suisse et Oise

(front : 560 kilomètres).

48 D.I. (dont 45 françaises).

18 D.I. et 3 D.C. (dont 15 D. I. et 3 D. C. françaises).

Entre Oise et mer du Nord

(front: 280 kilomètres).

65 D.I. (dont 20 françaises).

42 D. I. et 7 D. C. (dont 23 D. I. et 3 D. C. françaises).

Entre Suisse et Oise:

Entre Oise et mer du Nord

1 division en ligne pour 12 kilomètres de front

1 division en ligne pour 4 à 5 kilomètres de front

1 division en réserve pour 33 km de front

1 division en réserve pour 6 kilomètres de front

Non comprises les dix division britanniques réduites à l'état d'unités cadres et les deux divisions portugaises, hors de combat pour l'instant.

Quelle est, à ce moment, la situation de l'Armée allemande et quelles sont les intentions de sa direction suprême ? L'Armée allemande, à partir de la fin d'Avril, se tient sur la défensive mais cette attitude ne trompe pas le haut commandement des Alliés. Il parait certain que, dans un délai plus ou moins court, l'ennemi lancera une nouvelle offensive de grand style; la supériorité dont; il dispose encore ne peut que l'inciter à persévérer dans ses efforts. En effet, d'après les renseignements recueillis, la direction suprême disposerait, sur le front franco- belge, à la date du 1er Mai 1918, de 206 divisions d'infanterie (dont 142 en ligne et 64 en réserve) plus 4 divisions de cavalerie (dont 3 en ligne et 1 en réserve); Parmi les divisions en ligne, 58 (dont les 3 divisions de cavalerie) seraient entre la frontière suisse et l'Oise, et 87. entre l'Oise et la mer du Nord. En ce qui concerne les divisions réservées, leur masse est plus considérable que celle (41 divisions) qui existait le 9 Avril, après la bataille de Picardie et avant la bataille des Flandres. Et elle ne fera qu'augmenter au cours du mois de Mai, atteignant successivement: 72 divisions le 8 Mai, 78 le 12 Mai, 82 le 16 Mai; à partir de cette dernière date, elle oscille entre 75 et 80 divisions, nombre un peu supérieur à celui des réserves (74 divisions) dont disposait le commandement allemand à la veille de ses offensives, le 21 Mars précédent. De plus, parmi ces unités disponibles, la proportion des divisions fraîches augmente rapidement : d'après les estimations, leur nombre passe de 47; à 62 entre le 12, et le 25 Mai. Si l'importance des disponibilités allemandes permet d'affirmer que l'ennemi abandonnera bientôt l'attitude défensive qu'il a adoptée, par contre l'incertitude demeure grande sur la zone où il fera peser son nouvel effort. La situation ne laisse pas d'être inquiétante pour les Alliés : - d'une part : la supériorité numérique de l'ennemi, ses possibilités de manoeuvre, l'incertitude qui règne sur ses projets; - d'autre part : l'état d'usure de l'Armée britannique, les lourdes charges qui incombent à l'Armée française, la précarité du front en Picardie, en Artois et dans les Flandres et la proximité des objectifs vitaux qu'il couvre, contribuent à rendre très menaçant le proche avenir.

LES DIRECTIVES DU GÉNÉRAL FOCH

Par contre, un avantage considérable pour les Alliés a été obtenu par l'institution du commandement unique. Celui-ci, accepté en principe dès la fin de Mars, n'est complètement réalisé qu'à la fin d'Avril, le général Foch ayant employé ce mois à obtenir que la décision de principe devienne effective tant par le titre même donné au nouveau chef commun que par une définition nette de ses attributions. Les étapes de la réalisation de cette heureuse mesure sont, en résumé, les suivantes : Le 26 Mars, à Doullens, les gouvernements britannique et français ont chargé le Général Foch " de coordonner l'action des armées alliées sur le front ouest. " Peu après le général Foch ayant fait valoir que les pouvoirs ainsi définis étaient insuffisants, une conférence interalliée (Américains, Britanniques, Français), tenue à Beauvais, le 3 Avril, lui confiait " la direction stratégique des opérations militaires ". Il était spécifié que les commandants en chef américain, britannique et français continueraient à exercer " dans sa plénitude la conduite tactique de leurs armées ", chacun d'eux ayant le droit d'en appeler à son gouvernement si, dans son opinion, son armée se trouvait mise en danger par toute instruction reçue du général Foch. Le 14 Avril, sur sa demande, celui-ci reçoit un titre officiel consacrant son autorité: " Général en Chef des Armées alliées en France ", et, au début de Mai, ses pouvoirs sont étendus sous certaines réserves au front italien.

Le général Foch partage l'opinion du maréchal Haig et du général Pétain sur la probabilité d'une nouvelle offensive ennemie à brève échéance, mais, comme eux, il n'a pas de certitude concernant le choix que feront les Allemands du secteur du front où ils entreprendront leur attaque; son attention, toutefois, se porte surtout sur le front compris entre l'Oise et la mer du Nord, ou le danger paraît plus pressant et ou un échec serait plus grave que partout ailleurs. C'est là qu'il importe avant tout de préparer la bataille prochaine. Cette bataille, il faudra sans doute la subir, puisque l'ennemi dispose de la supériorité du nombre, qui lui assure l'initiative des opérations. Le général Foch, cependant, ne la conçoit pas seulement, pour les Alliés, sous la forme d'une bataille défensive; fidèle aux conceptions qu'il a soutenues, au cours de l'hiver précédent, devant le conseil supérieur de Guerre interallié, et qui l'ont inspiré dès sa prise de commandement des armées alliées, à la fin de Mars, il entend préparer à la fois la parade et la riposte et il envisage même, au cas où les Allemands tarderaient à reprendre l'offensive, que les Alliés pourraient les devancer. En outre, tout en s'appliquant ainsi à assurer une résistance pied à pied des troupes en ligne, le général Foch se préoccupe de préparer l'intervention rapide d'unités fraîches, dès le début de l'offensive allemande attendue. Dans ce but, il conserve en arrière et à proximité des fronts compris entre l'Oise et la mer du Nord la masse principale des disponibilités alliées. Notamment il estime indispensable, en dépit des charges qui incombent aux armées du général Pétain, le maintien des deux groupements de forces françaises qu'il a établis en réserve générale, dans le courant d'Avril à hauteur de la jonction des fronts français et britannique; il insiste donc pour que le commandant en chef français entretienne constamment : 1 un groupement (4 divisions, Xème armée) au nord de la Somme, largement articulé de Fruges à Doullens, en mesure d'intervenir sur les fronts des 1ère, 3ème et 4ème armées britanniques et au besoin de porter rapidement par voie de terre une division dans le Nord; 2 un groupement (4 divisions au moins, Vème armée) au sud de la Somme. échelonné de Picquigny à Grandvilliers, en mesure d'intervenir, sans retard. en zone britannique à la suite de l'Armée Maistre ou sur la partie nord du groupe d'armées de réserve."

LE MAINTIEN ET L'ENTRETIEN DES FORCES ALLIES

Offensive ou défensive, la prochaine bataille nécessitera certainement la mise en oeuvre d'effectifs considérables; or, à cet égard, la situation des Alliés est loin de se présenter favorablement en Mai 1918. En effet, non seulement le nombre de leurs grandes unités est nettement inférieur à celui des grandes unités adverses, mais encore l'Armée française et surtout l'Armée britannique vont manquer des ressources de recrutement indispensables pour réparer leurs pertes. Il importe, cependant, de pouvoir entretenir une lutte qui peut être longue et dont dépend le sort de la guerre. Au cours du mois de Mai, le général Foch, tout en donnant ses directives pour la conduite des opérations à venir, s'efforce donc d'assurer la réunion des moyens nécessaires. En particulier, il s'applique : - à réaliser des économies sur les récents champs de bataille; - à soulager un peu l'Armée française grâce à l'emploi de divisions britanniques fatiguées sur les fronts calmes à l'est de l'Oise; - à obtenir du maréchal Haig la conservation des divisions britanniques dont la dissolution est envisagée; - enfin, à accélérer l'arrivée et la coopération des troupes américaines en France.

La décision prise, le 1er Mai, par le général Foch, d'étendre le secteur du détachement d'armée du Nord comportait, en contrepartie, le développement du transport de divisions britanniques usées sur le front français, pour y remplacer, dans des régions calmes, des unités de valeur combative momentanément supérieure. Le principe de cet emploi avait été accepté par le maréchal Haig, dans le courant d'Avril et avait reçu un commencement d'application: la 50ème division britannique et l'état- major du 9e corps d'armée britannique avaient été transportés dans la zone de la VIème armée française, au sud de Fismes. Le 30 Avril, le général Foch insiste sur la nécessité de poursuivre sans retard les transports entamés, qui, à son avis, devront porter sur dix à quinze divisions; le ler Mai, il demande au maréchal Haig l'envoi immédiat de trois divisions britanniques à la disposition du général Pétain, en indiquant que d'autres devront suivre. Le maréchal Haig fait alors mettre en route les 8ème, 2lème et 25ème divisions britanniques, qui, avec la 50ème, forment le 9e corps britannique. Celui-ci va prendre la garde du front entre Craonne et Loivre. A la suite de ces unités sont encore envoyés, entre le 14 et le 20 Mai, l'état-major du 8ème corps d'armée britannique et la 19ème division britannique, qui sont placés en réserve du front de Champagne en attendant leur entrée en secteur à la IVème armée française. Les transports en restent là. Les résultats obtenus dans les transports de troupes américaines, depuis l'entrée en guerre des États Unis jusqu'en Mars 1918, avaient été faibles. Au 16 Mars, à la veille de la première offensive allemande, ces troupes ne comptaient en France que 255.744 hommes dont 157.420 combattants. La lutte acharnée et si meurtrière qui se déroule à partir du 21 Mars, en aggravant de façon très dangereuse la crise des effectifs alliés, ne laisse plus de doute sur la nécessité de donner une impulsion nouvelle aux transports américains et d'adopter un plan répondant aux besoins impérieux du moment. Au début de Mai, l'appui que l'Armée américaine est à même de donner aux armées britannique et française reste encore très limité. Une seule de ses divisions (la 1ére), en ligne sur le front de Picardie est considérée comme apte a participer à une grande bataille; trois autres (les 2ème, 26ème et 42ème) tiennent des secteurs calmes en Lorraine où elles complètent leur instruction. A ces quatre unités s'ajoutent : la 32ème division, dont les régiments sont dispersés au long des voies de communication, et les 3ème et 5ème divisions, en cours de débarquement. Ces trois divisions, partiellement instruites aux États-Unis, doivent achever leur formation sur des fronts calmes et dans des camps Enfin. quatre régiments d'infanterie noire, en cours de transport, seront. au fur et à mesure de leur arrivée, mis à la disposition du général Pétain, pour être rattachés à de grandes unités françaises. Le 24 Avril, le général Pétain a fait connaître au général Foch qu'il estimait les 2ème, 26ème et 42ème divisions américaines suffisamment instruites pour pouvoir participer à la "noria" générale, comme la 1ére. Il a demandé, d'autre part, que l'envoi sur le front des 32ème, 3ème et 5ème divisions fût hâté le plus possible. Grâce à l'appoint du tonnage britannique, la situation des transports américains va rapidement s'améliorer, dès le mois de Mai. Alors que les effectifs transportés en Mars et en Avril avaient été respectivement de 64.200 et 93.128 hommes, ils s'élèvent en Mai à 206.287 hommes, dont 176.602 combattants, parmi lesquels 140.024 appartiennent à l'infanterie. D'autre part, les progrès réalisés dans l'instruction des troupes aux États-Unis laissent espérer qu'on pourra bientôt tabler sur des délais moins longs entre le débarquement des unités et leur emploi sur le front. Pour aider à cette évolution, le gouvernement français décide, le 19 Mai, d'envoyer aux États- Unis le général Berthelot avec mission d'examiner les conditions dans lesquelles pourraient être augmentés les moyens d'instruction mis par la France à la disposition du gouvernement fédéral. A la fin du mois de Mai, la situation des forces américaines en France est la suivante : - deux divisions (1ére et 2ème), aptes à participer à des batailles, sont en Picardie, à la disposition du commandement français; - trois divisions (26ème, 32ème et 42ème) sont dans les secteurs calmes sur le front du groupe d'armées de l'Est; - deux divisions ( 3ème et 5ème) ont achevé leurs débarquements; - cinq divisions (4ème, 28ème, 30ème, 35ème et 82ème) sont en cours de débarquement; - quatre divisions (27ème, 33ème, 78ème et 80ème) sont en cours de transport; - une division de dépôt (41ème) est débarquée; - enfin, les quatre régiments d'infanterie noire ont été mis à la disposition du commandement français et complètent leur instruction. D'autres forces alliées encore vont être appelées à participer aux prochaines opérations entre la Suisse et la mer du Nord. L'Armée belge, sous le commandement du roi Albert, continue à assurer la garde de l'important secteur d'aile gauche entre Nieuport et Ypres. Depuis sa réorganisation au début de l'année, elle n'a subi aucune transformation notable. A la date du 26 Mai l918, elle compte l66.000 hommes dont 14l.974 combattants, formant douze divisions d'infanterie et une division de cavalerie. Elle dispose de 129 avions et de 952 canons de tous calibres. L'Armée italienne est représentée sur le front de France par un brillant corps d'armée. Le gouvernement italien, en effet, devant le formidable effort fait par les Allemands en Picardie et dans les Flandres, a tenu à apporter le concours direct de ses troupes aux armées britannique et française, et il a envoyé en France, dans le courant d'Avril, son 2ème corps d'armée (général Albricci) à deux divisions (3ème et 8ème). Cette arrivée de renforts italiens produit la meilleure impression; elle affirme, ainsi que l'écrit le général Foch au général Diaz, à l'occasion du troisième anniversaire de l'entrée en guerre de l'Italie, "la volonté des Alliés d'aboutir à la victoire finale par l'union de tous". Il est décidé que les divisions italiennes passeront successivement en secteur sur le front Argonne, Verdun, pour qu'elles s'habituent à combattre au milieu des troupes françaises, puis que le corps d'armée sera regroupé en vue de son intervention dans les batailles prochaines. La solidarité italienne ne se manifeste d'ailleurs pas seulement sur le front de France, par l'envoi du 2ème corps. En vertu d'un accord passé l'hiver précédent. l'Italie met à la disposition du gouvernement français de nombreux travailleurs auxiliaires (une soixantaine de milliers d'hommes). qui étant donnée la pénurie de main-d'oeuvre aux armées, apportent le plus précieux concours pour l'équipement du front.

MESURES POUR PARER A UNE OFFENSIVE A L'EST DE L'OISE

Le général Foch ne méconnaît pas les difficultés auxquelles le Grand Quartier Général français doit faire face, mais en raison de la menace pesant sur les fronts compris entre la Lys et l'Oise et de l'affaiblissement momentané des armées britanniques, il ne croit pas possible de réduire, pour l'instant, la tâche incombant aux armées françaises. Dans ces conditions, le général Pétain doit donner satisfaction aux demandes que le général Foch lui adresse et qui sont imposées par les exigences de la situation générale. Il s'attache, en particulier, à assurer l'entretien des groupements réservés des Vème et Xème armées, en Picardie et en Artois. Ainsi, l'économie du dispositif des armées françaises ne connaît pas de changement important au cours de la période du ler au 26 Mai; la différence entre les répartitions des divisions françaises à ces deux dates ressort de la comparaison des chiffres suivants :

 

1er Mai 1918

26 Mai 1918

 

45 D.I. en ligne

41 D.I. en ligne

Entre la Suisse et l'Oise

15 D.I. et 3 D.C. en réserve

19 D.I. et 3 D.C. en réserve

 

60 D.I. et 3 D.C.

60 D.I. et 3 D.C.

 

20 D.I. en ligne

24 D.I. en ligne

Entre l'Oise et la Mer du Nord

23 D.I. et 3 D.C. en réserve

19 D.I. et 3 D.C. en réserve

 

43 D.I. et 3 D.C.

43 D.I. et 3 D.C.

La diminution du nombre des divisions françaises en ligne entre Suisse et l'Oise s'explique par l'entrée en secteur du 9ème C. A. britannique sur l'Aisne et d'une division italienne en Lorraine. L'augmentation du nombre des divisions françaises en ligne au nord de l'Oise provient de l'extension du front du D. A. N. dans les Flandres et de la mise en secteur, sur le front de Picardie, de deux divisions jusqu'alors réservées. Le total des réserves françaises est demeuré le même: 38 D.I. et 6 D.C.; Cependant, le général Pétain, tout en se conformant aux directives du général Foch pour la préparation de la bataille au nord de l'Oise, se préoccupe de prendre des mesures qui permettent de renforcer dans les plus courts délais le groupe d'armées du Nord ou le groupe d'armées de l'Est, dans le cas où les Allemands déclencheraient leur attaque entre Oise et Suisse. On n'a pas oublié, en effet, que si les fronts de Picardie, d'Artois et des Flandres paraissaient les plus menacés, certains renseignements laissaient prévoir que le nouvel effort ennemi pourrait se produire sur le Chemin des Dames, dans la région de Reims, ou encore en Lorraine. Or les 48 divisions alliées (41 françaises, 3 britanniques, 3 américaines, 1 italienne), en ligne sur les 560 kilomètres de front qui s'étendent de Noyon à Altkirch, sont largement étirées et de plus certaines d'entre elles, récemment sorties des batailles de Picardie et des Flandres, sont à peine reconstituées. D'autre part, la faiblesse relative des réserves alliées disponibles entre la Suisse et l'Oise (22 divisions dont 19 françaises, 2 britanniques, 1 italienne et 3 D.C.) ne permet guère de combinaisons; il importe avant tout d'assurer le soutien immédiat des troupes en ligne. Ces réserves sont donc disposées en cordon, compte tenu des facilités de transport que présentent les différentes régions de l'arrière-front et des menaces, imprécises. qui pèsent sur certains secteurs. La répartition réalisée est la suivante, à la date du 26 mai : - en arrière du groupe d'armées de l'Est (370 kilomètres de front) 10 divisions réservées (9 françaises, 1 italienne), dont 2 derrière la VIIème armée (haute Alsace et Vosges); 5 derrière la VIII armée (région de Nancy, Commercy); 3 derrière la IIème armée (région de Verdun); en outre, le front du groupe d'armées de l'Est paraissant de tous le moins menacé, le général Pétain invite le général de Castelnau à préparer la relève rapide des divisions en ligne dans les secteurs calmes par les divisions qui seraient éprouvées dans les combats livrés dans d'autres régions; ainsi pourrait être assurée, dans le minimum de temps, la constitution de nouvelles disponibilités, permettant de remédier, au moins en partie, à l'usure de la bataille; - en arrière du groupe d'armées du Nord ( l90 kilomètres de front) 12 divisions réservées (10 françaises, 2 britanniques), dont 4 derrière la IVème armée (front de Champagne ); 8 derrière la VIème armée (Chemin des Dames); en outre, le 1er corps de cavalerie, à trois divisions, est articulé de Dormans à Vitry-le-François, à hauteur de la jonction des IVème et VIème armées . La plupart de ces unités sont placées à proximité de grandes rocades et doivent se tenir prêtes non seulement à intervenir sur les fronts derrière lesquels elles se trouvent, mais aussi a être embarquées pour d'autres secteurs en cas de besoin. Il n'en reste pas moins que les moyens dont dispose le commandement français entre l'Oise et la Suisse ne sauraient suffire pour faire face aux nécessités d'une grande bataille sur l'Aisne, en Champagne ou en Lorraine. Dans cette éventualité, il faudrait nécessairement faire un large appel aux forces de Picardie, d'Artois et des Flandres.

Le 16 Mai le général Pétain invite le commandant de la Vème Armée à étudier l'introduction de son quartier général sur les fronts de l'Aisne, de Champagne ou de Lorraine. Le résultat de ces études sera communiqué au commandant de la Xème Armée qui devra se tenir constamment au courant du dispositif et de l'emploi des forces de la Vème Armée, entre l'Oise et la Somme, afin d'être à même de prendre sous son commandement, en totalité ou en partie, celles de ces forces maintenues sur place, en cas de déplacement de l'état-major de cette armée vers l'Est. Enfin, en rendant compte au général Foch des mesures prises pour assurer éventuellement le renforcement rapide des groupes d'armées du Nord et de l'Est, le commandant en chef demande que le détachement d'armée du Nord soit invité, dans le même dessein, à prévoir l'enlèvement rapide vers un autre théâtre d'opérations de deux divisions réservées, d'un régiment d'artillerie de campagne portée et d'un régiment d'artillerie lourde. Ainsi, dans le cas d'une grande bataille dans les régions à l'est de l'Oise, le général Pétain prévoit et prépare le retour progressif des réserves françaises qui au cours des mois de mars et d'avril, ont été transportées vers le Nord pour appuyer les armées britanniques. L'éventualité envisagée aurait donc pour conséquence un profond remaniement du dispositif général.

DOCTRINE DÉFENSIVE

Sur le front entre l'Oise et la Suisse les armées occupent des positions organisées de longues dates. La doctrine défensive reste celle définie par le général Pétain au cours de l'hiver 1917/1918. Le commandant en chef français, le général Pétain, estimait que, étant donné la puissance des moyens dont l'ennemi disposait pour mener une offensive de grand style, on ne pouvait espérer conserver la première position dans la zone attaquée. En conséquence, pour éviter des pertes considérables, et sans doute vaines, il avait invité ses armées à reporter le gros de la défense sur une position en arrière, située hors de portée des tirs de l'artillerie de tranchée et constituant la position de résistance à tenir coûte que coûte. La zone avant (première position) ne devait donc plus être occupée que par le minimum de troupes nécessaires pour contenir l'adversaire en temps ordinaire, pour ralentir et disloquer ses vagues d'assaut le jour où il déclencherait une importante attaque. La position de résistance (deuxième position ou position intermédiaire entre la première et la deuxième) devenait l'élément essentiel du champ de bataille organisé, sur lequel il fallait arrêter et battre l'ennemi; elle devait être choisie de manière à ne pouvoir être abordée qu'après une série de combats ayant dissocié chez l'ennemi le dispositif d'assaut de l'infanterie et le système initial de l'artillerie. En somme, il s'agissait d'appliquer, dans la guerre de tranchée, les principes en usage dans la guerre en rase campagne, la zone avant, constituée par la première position organisée, correspondant à ce qu'est, en terrain libre, la zone des avant-postes.

SITUATION DES MATÉRIELS

Si la situation des armées françaises au point de vue de l'entretien des effectifs demeure difficile, la situation des matériels est, dans l'ensemble satisfaisante. Le développement des fabrications au printemps 1918 permet, en effet, de poursuivre activement le remplacement progressif du matériel démodé et la constitution, dans certaines armes, de formations nouvelles, en dépit des difficultés que présente le recrutement du personnel. De la fin de Mars à la fin de Mai 1918 l'artillerie se transforme et s'accroît dans des proportions notables. A la fin du mois de Mai, le commandant en chef dispose dans la zone des armées des unités suivantes : 214 batteries d'artillerie de tranchée; 27 batteries de 65 de montagne; 981 batteries de 75 de campagne; 243 batteries de 75 porté 71 sections d'autos-canons de 75; 1 section de 75 sur remorque; 708 batteries lourdes hippomobiles; 224 batteries lourdes à tracteurs; 272 batteries d'artillerie à pied; 96 batteries d'artillerie lourde à grande puissance Si l'on compare avec ce qui existait à la fin du mois de Mars 1918, on constate : d'une part, la suppression de 26 batteries d'artillerie de tranchée et de 6 batteries de 75 de campagne, d'autre part, l'apparition de 36 nouvelles batteries de 75 porté, une augmentation globale de 76 batteries pour l'artillerie lourde hippomobile (matériel moderne de 105 et 155 C. Schneider) et de 14 batteries pour l'artillerie lourde à tracteurs (matériel moderne de 220 T.R. et de 155 G.P.F.), aucun changement pour l'artillerie à pied et l'artillerie lourde à grande puissance. Le stock de munitions . pour les principaux calibres, atteint, en Mai 1918, environ : 32.000.000 coups de 75; 7. 000.000 coups de 155; 900.000 coups de 105; 800.000 coups de 220; En rapprochant ces chiffres de ceux relevés avant l'offensive allemande du 21 Mars 19l8, s'il apparaît une augmentation sensible des munitions de 155 (plus de 700.000 coups), on constate une diminution de près de 2 millions de coups pour le 75 et de plus de 300.000 pour le 105. Par contre, la production des obus de 75 chargés en produits spéciaux prend un développement important qui ressort du tableau suivant :

 

Obus à ypérite

Obus à vincennite

Obus à collongite

Nombre d'obus livrés en Avril

7.000

135.000

234.000

Nombre d'obus livrés en Mai

189.000

95.000

208.000

et le ministre de l'Armement prévoit une augmentation très forte des livraisons au cours des mois à venir.

L'artillerie d'assaut (Chars d'assaut) connaît un changement important. Cette arme nouvelle parait appelée à tenir une place essentielle dans les opérations prochaines, du fait de l'entrée en action d'un matériel plus souple et plus rapide. Au début de l'année 1918, les armées françaises ne disposaient que de chars moyens (Schneider et Saint-Chamond) d'un modèle démodé et les. difficultés survenues dans la mise au point du char léger d'accompagnement Renault avaient empêché le ministre de l'Armement de, réaliser le programme établi au cours de, l'hiver précédent; les 204 premiers chars reçus au début d'Avril par les armées avaient du être soumis à une révision du constructeur en raison de défectuosités de montage. En Mai, la situation s'améliore : à coté des 28 groupes de chars moyens comprenant chacun environ 12 chars de combat, entrent en service 4 bataillons de chars Renault, à 75 chars (dont 45 de combat) par bataillon. Le rendement de la fabrication permet dès lors de mettre sur pied un bataillon complet par semaine. Si aucun à-coup ne se produit dans la construction du matériel, on peut compter que les armées disposeront, à la fin de 1918, de 4.ooo chars d'accompagnement, soit 30 bataillons avec leur personnel entraîné. Le problème des chars lourds n'est pas résolu. Au mois de Mai, il y a seulement en construction un certain nombre de chars de 63 tonnes à titre d'expérience. Il est bien prévu une livraison de chars "Liberty", mais il parait difficile d'envisager leur emploi avant 19l9.

En ce qui concerne l'aéronautique, les disponibilités du commandement français n'augmentent pas sensiblement entre le mois de Mars et la fin de Mai, mais le développement des fabrications en avions et moteurs permet de hâter le remplacement du matériel ancien par des appareils de modèle récent et va donner les moyens d'entreprendre la réalisation du nouveau programme dit des 4.ooo avions, qui comporte un sérieux accroissement de l'aviation de chasse (600 appareils) et de l'aviation de bombardement (480 appareils). Ce programme doit assurer, pour le début 1919, la présence aux armées de : 1.520 avions d'observation; 1.500 avions de chasse; 870 avions de bombardement. La conception du général Pétain de l'intervention en masse de l'aviation de chasse et de bombardement dans la bataille s'est trouvée pleinement justifiée par les événements qui se sont déroulés en Picardie; la nécessité de constituer d'importants groupements tactiques paraît désormais indiscutable. Poursuivant donc l'application du principe qui l'a incité à organiser les escadres et les groupements, le général en chef décide le 14 Mai. de former une division aérienne avec les quatre groupements Ménard, Féquant, Chabert, Villomé; il en confie le commandement au général Duval, aide major-général, chef du service aéronautique.

RÉSUMÉ DE LA SITUATION

Durant la courte période de répit qui fait suite aux offensives allemandes de Picardie et des Flandres, de multiples problèmes appellent l'attention du commandement français. - Instruction des cadres et des troupes s'inspirant des expériences récentes et préparant l'entrée en action de nouveaux moyens de combat (chars légers), entretien des effectifs, accroissement et transformations des armes à matériel, équipement des nouveaux fronts, autant de problèmes urgents qu'il faut examiner et résoudre pour mettre les armées françaises en état de faire face aux besoins des batailles prochaines. - Plus préoccupante encore est la question du dispositif et de l'emploi des réserves. Les intentions de l'ennemi restant inconnues malgré l'activité dépensée par les organes d'information, la répartition des forces françaises demeure ce qu'elle était au lendemain des offensives allemandes du 21 Mars et du 9 Avril. Elle répond à l'hypothèse la plus probable, à la nécessité de couvrir les ports du Pas-de- Calais et de la Manche, menacés de près, et d'assurer l'union indéfectible des armées françaises et des armées britanniques, essentielle sauvegarde des Alliés. - Mais, les Allemands conservent toute liberté de manoeuvre; ne s'attaqueront-ils pas maintenant aux fronts s'étendant à l'est de l'Oise, affaiblis au profit de ceux qui sont au nord de cette rivière ? Le commandement français doit, pour parer à cette éventualité, prévoir tout un jeu de transports qui permette d'adapter, aussi rapidement que possible, le dispositif actuel à une situation nouvelle. C'est, précisément, cette éventualité qui devient une réalité. Le 26 mai, cesse brusquement la période d'incertitude qui dure depuis plusieurs semaines : des interrogatoires de prisonniers, capturés au cours de la nuit précédente sur le front de la VIème armée, il ressort que l'ennemi va lancer une offensive de grand style sur le Chemin des Dames, le 27 au plus tard le 28 mai.

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